09/01/2025
La Concentration, Philippe Garrel - Sortie DVD
13/11/2024
Point de Départ, Robert Kramer - Sortie DVD
Point de Départ de Robert Kramer - Version française (English version below)
« Je me demande comment se souviennent les gens qui ne filment pas, qui ne photographient pas...
Comment faisait l’humanité pour se souvenir... » - Chris Marker
C’est sur cette citation, célébrant le pouvoir de filmer, que Kramer ouvre son film. Dès lors, il nous
révèle aussitôt son intention : documenter et capturer autant que possible pour témoigner des
traumatismes infligés sur la population vietnamienne dans un contexte de post-indépendance, 20
ans après la guerre.
En dressant le portrait de divers locaux et en filmant des fragments de vie quotidienne au Vietnam,
Kramer dénonce les ravages causés par les États-Unis sur la population vietnamienne, tout en
offrant une réflexion sur le pouvoir de l’image en tant que vecteur de mémoire collective. Il met en
lumière la perte d’identité chez les jeunes générations, qui, contrairement à leurs ainés, se tournent
vers l’occident pour se reconstruire, délassant la mémoire de la guerre. Comme le souligne un vieil
homme vietnamien : « Le Vietnam s’est ouvert au monde extérieur. Peut-être que le mode de vie des
autres pays a envahi le Vietnam. » Kramer, en s’immisçant dans leur intimité, capte leurs traditions
et modes de vie dans un geste presque conservatoire.
Il interroge un éventail de personnages. Un traducteur, le directeur de la télévision vietnamienne,
des ouvriers, une danseuse, une esthéticienne et un réalisateur. Tous unis par un lien commun : la
caméra qu’ils considèrent comme un outil essentiel à leur mémoire. Cette dernière leur permet de
préserver le souvenir du passé et des souffrances endurées durant la guerre.
Le traducteur, par exemple, décrit sa caméra comme un prolongement de sa mémoire : « Je l’avais
aussi pour filmer la libération de Saigon. Elle est ma mémoire. » Quant à la danseuse, elle visionne
avec regret et nostalgie une vidéo d’elle dansant avant de perde ses jambes lors d’une explosion
engendrée par l’armée américaine.
En parallèle, Kramer interroge Linda, une Américaine condamnée à 40 ans de prison pour avoir
aidé un fugitif. C’est en filmant le désarroi et la tristesse de Linda qu’il met ainsi en lumière et
confronte à la fois, la culpabilité ressentie par certains Américains face au génocide commit par leur
gouvernement. Cette culpabilité est subtilement confrontée tout au long du film, à une société
vietnamienne traumatisée, mais décidée à oublier et à se reconstruire, paradoxalement, en adoptant
le modele économique de l’ancien ennemi.
Le film se termine par un écriteau « les temps changent, Linda n’a pas changé avec » . Kramer y
souligne la divergence dans la perception du temps : certains tentent de se reconstruire, tandis que
d’autres restent figés dans une réalité passée. C’est la que repose tout le film : la caméra, comme
objet de mémoire, permet à chacun d’avancer tout en restant conscient d’un monde révolu.
Point de départ, Robert Kramer (english version)
« I wonder how people who don’t film, who don’t take photos, manage to remember... How did
humanity used to remember... » - Chris Marker
It’s with this quote, celebrating the power of filming, that Kramer open his film. It is thus how he
immediately reveals his intention in Point de départ : to document and capture as much as possible
to bear witness to the trauma inflicted on the Vietnamese population in a post-independence
historical context.
By portraying various locals and filming fragments of daily life in Vietnam, Kramer denounces the
devastation caused par the United States on the Vietnamese population while offering a reflection
on the power of the image as a vehicle for collective memory. He highlights the loss of identity
among younger generations, who, unlike their elders, take cues from the West to reconstruct their
country and their lives, shedding the memory of the war. As an elderly Vietnamese man states,
« Vietnam opened itself to the outside world. Perhaps, other country's lifestyles have invaded
Vietnam. » By entering into intimate exchanges with the people he films, Kramer captures their
traditions and lifestyles in an almost preservative gesture.
He interrogates a large range of people : a translator, a Vietnamese television director, several
workers, a dancer, an esthetician and a movie director. They are all united by a common bond : the
camera, which they consider an essential tool for their memory. This tool allows them to preserve
the memory of the past and the suffering endured during the war.
The translator, for example, describes his camera as an extension of his memory : « I also used it to
film the liberation of Saigon. It is my memory. » As for the dancer, she watches with regret a video
of herself dancing before losing her legs in an explosion caused by the American army.
In parallel, Kramer interviews Linda, an American sentenced to 40 years of prison for helping a
fugitive. By filming Linda’s distress and sadness, he highlights and confronts the guilt felt by some
Americans watching their government committing a genocide. This guilt is subtly confronted
throughout the film with a traumatized Vietnamese society that is determined to forget and rebuild,
paradoxically, by adopting the economic model of their former enemy.
The film ends with text that reads « Times change, Linda has not changed with them. » Here,
Kramer emphasizes the divergence in the perception of time : some are trying to rebuild, while
others remain stuck in a past reality. This is where the essence of the film lies : the camera, as an
object of memory, allows each person to move forward while remaining aware of a bygone world.
22/02/2024
BABEL (FIN DE CYCLE) - Boris Lehman : sortie DVD
BABEL (fin de cycle) : Notes sur 4 films de Boris Lehman
Version française (english version below)
Nous y voilà donc – c'est la fin. La fin, vraiment ? Il faut le croire. Ça avait commencé dans les années 60, auprès des malades mentaux, avec le Club Antonin Artaud : la thérapie par le cinéma. Pour s'arrêter à l'aube des années 2020, presque soixante ans plus tard. Entre temps quoi ? Une vie de cinéma, une vie en cinéma – une vie filmée, à l'instar de Jonas Mekas ou d'Alain Cavalier. Quelques centaines de films, courts ou longs, en 8 ou 16 mm, et auxquels il faut encore adjoindre une somme astronomique de photographies, images diverses, cartes postales, bouts de papiers, petites notes, petits mots, filmés ou pas, et qui gravitent autour de l'œuvre, y participent d'une manière ou d'une autre, de près ou de loin.
Pour conclure l'œuvre de sa vie – à laquelle fut donné le beau nom de Babel, officiellement entamée en 1983 – Lehman ouvre cette « fin de cycle » par un petit film intitulé Oublis, Regrets et Repentirs, issu de la bobine perdue d'un précédent film, et dont le cinéaste n'a su que faire. Il faut dire que tout alla de travers pendant le tournage : du vol de sa caméra aux divers problèmes techniques rencontrés, dont un enregistreur Nagra qui fait des siennes – autant de signes invitant à laisser tomber, à mettre un terme à l'ouvrage. Pourtant le cinéaste s'entête, persiste, accouchant de quelques séquences aussi chaotiques que drolatiques. Sons qui s'emballent, se désynchronisent et foutent le camp. Voix qui montent dans les aigus, monologues haut-perchés... La confusion règne. Oublis... est un film qui n'en fait qu'à sa tête – comme Lehman au fond. C'est aussi un film qui se fonde sur une absence, sur l'angoisse d'une absence : ce « trou noir », c'est-à-dire les sept mois précédents le début de son tournage, sept mois pendant lesquels Lehman n'a rien filmé, nous dit-il. Sept mois de sa vie donc, « dont il ne restera aucune trace ». Quoi de plus terrible pour quelqu'un dont l'obsession particulière est de garder trace de tout ? Qui s'attache à ne rien perdre, à ne rien gâcher ? « Sauvegarde d'un film oublié », tel aurait pu être le sous-titre d'Oublis..., qui assume et revendique pleinement sa valeur de « rebut », de film recyclé à partir des débris du quotidien précieusement conservés.
Il faut saisir l'étrangeté qui se dégage de l'œuvre de Boris Lehman : l'imaginer vivre sa vie de tous les jours tandis qu'une équipe de tournage le suit à la trace pour filmer ses faits et gestes, ses déambulations, et jusqu'aux interactions les plus anodines avec la libraire ou le garçon de café, les amis croisés « par hasard » (mais quel « hasard » au juste, tant vie réelle et mise en scène finissent par se confondre ?), et qui de ce fait se font les complices amusés de l'entreprise auto-filmique en cours. Nombrilisme ? Plutôt pure hantise : celle que les choses même les plus infimes puissent se perdre et disparaître, sans laisser la moindre trace. Et la peur peut-être qu'en disparaissant, elles nous entraînent avec elles, dans le grand siphon de l'oubli. Que rien ne puisse rien retenir. C'est donc sur cette angoisse viscérale que l'œuvre de Lehman semble s'être bâtie, au fil des décennies d'une vie vécue pour être filmée – sans quoi elle ne serait pas vraiment vécue, sans quoi le monde oublierait. Il y a quelque chose de Perec chez Boris Lehman, dont l'entreprise relève à la fois de la compilation, de l'épuisement et de l'(auto)archivage.
L'oubli. C'est encore lui qui fonde le film suivant, Une Histoire de cheveux, sous-titré Sibérie. Film qui se veut la continuité d'un précédent (encore), intitulé Histoire de mes cheveux, tourné entre 2003 et 2010 : première partie d'un projet plus vaste qui n'avait pas pu être mené à son terme. Sibérie constitue donc la seconde partie, poursuivant le voyage dans l'espace et dans le temps du cinéaste, parti sur les traces de ses ancêtres aux confins de la Russie : sur les traces de son propre nom, de lui-même en quelque sorte. Le film est donc un voyage au bout du monde comme un voyage au bout de soi-même, récit incantatoire où la parole de Lehman est entrecoupée de chants, de poèmes (dont la sublime Prose du Transsibérien... de Cendrars), de bruits divers et de silences, qui achèvent de donner à l'ensemble sa forme lancinante et quelque peu hypnotique. De la rencontre du cinéaste, de son regard particulier et des paysages de la Russie profonde résultent des images d'une beauté étrange et parfois sidérante – paysages désolés, lacs gelés, montagnes et villages comme rescapés de la mémoire et de l'histoire. Avec Lehman, le spectateur traversera ces lieux comme un étranger débarqué sur une autre planète. Entre documentaire, essai filmique et carnet de voyage, le film se nourrit aussi des diverses rencontres de Lehman avec les populations locales, des individus croisés sur la route, et qui viennent rythmer le voyage introspectif en le rattachant sans cesse au réel et au présent, dans un va-et-vient incessant entre dedans et dehors, entre hier et aujourd'hui, entre « moi » et les autres – par les pouvoirs conjugués du mouvement et de l'image.
« C'était au temps où je croyais à l'image.
On se baladait d'un pays à l'autre et on rencontrait des gens.
Et ces gens on les filmait, on les mettait dans le film.
Et finalement ce sont eux qui faisaient le film, qui en faisaient un film. »
Carton issu de Une Histoire de cheveux (Sibérie)
Pourtant, il faut bien que le voyage s'achève – revenir à la maison. Mais comment revenir après ça ? Ce serait comme revenir d'entre les morts...
On ne croit pas si bien dire. Après la Sibérie, le temps du retour donc : Ulysse revient à Ithaque, même s'il s'est un peu perdu en chemin. À une terrasse de café parisien, le cinéaste-voyageur apprend d'une vieille connaissance qu'on l'a récemment enterré. C'est sur ce postulat improbable d'un Lehman d'outre-tombe que s'ouvre Funérailles (de l'art de mourir), troisième film de cette fin de cycle, dans lequel Lehman s'amusera avec un mélange d'humour et de sérieux à mettre en scène sa propre disparition. Plus qu'une expérience mortifère, il faut voir ce film comme une performance, la reconstitution fabulatrice d'un événement qui n'a pas encore eu lieu : tentative de dépasser le tabou de la mort, imbibée de l'atmosphère des rites qui retrouvent par la mise en scène leur valeur proprement poétique, entre paganisme et religiosité. Au bord de ce tombeau (fictif), le cinéaste s'interroge : que faire de tout ce qu'il a emmagasiné toutes ces années, toutes ces images, ces documents, ces livres, ces vêtements, ces films – tous ces rebuts encore une fois, obsessionnellement conservés ? Faisant face à sa hantise de toujours, Lehman semble résolu à tout perdre, à brûler lui-même tout ce qui, de toute manière, était voué à disparaître, quelques soient ses efforts. Ainsi Lehman le collectionneur, le collecteur-filmeur, rejoint en fin de parcours l'ultime souhait de Franz Kafka (dont le fantôme hante le film) : ce qui donnera lieu à une scène ahurissante où le cinéaste rassemble en un tas toutes les éditions qu'il a pu trouver de l'écrivain pragois, pour en faire un brasier. Autodafé ou grand feu de joie ? Acte d'autodestruction ou célébration de la vie dans ce qu'elle a de plus éphémère ? Par ce geste, Lehman revendique sa destinée d'éternel CSDF – Cinéaste Sans Domicile Fixe – comme un point final (?) au voyage de celui qui « se voulait nomade et libre, dans un monde où tout est prison, figé et ligoté », réalisant ainsi (même symboliquement) son rêve de mourir dans un grand feu.
Mais partir n'est pas si simple : en témoigne ce long plan séquence bouleversant qui clôt Funérailles, longue confession face caméra du cinéaste qui avoue ne pas pouvoir s'arrêter là, tandis que le film lui-même s'étire encore dans les minutes d'un épilogue « interminable » – celui d'une œuvre « qui ne veut pas finir, qui veut rester en fait. »
Car alors qu'on croyait Babel achevée, voici un dernier film qui vient conclure (vraiment ?) une œuvre qui décidément n'en finit pas de finir. Fantômes du passé (comment l'histoire est entrée en moi) possède tout de même un statut un peu particulier. Bonus, commentaire après coup, feu follet filmique ? Plutôt une sorte de bilan, l'occasion d'une replongée dans les archives d'une vie. Le film se fonde sur une béance, sur une blessure et une fissure – celle apparue dans la vie et le cœur du cinéaste lui-même (victime d’infarctus avant la réalisation du film), et celle découverte sur le mur de son atelier, à laquelle elle semble étrangement répondre. Cœur fissuré, mur fissuré : deux fissures qui n'en font qu'une et de laquelle toutes sortes de fantômes passés s'échappent pour former ensemble une énième pierre à poser sur Babel. Comme conscient de ce sursis qui lui est accordé, Lehman traverse son film comme un quasi fantôme d'abord, refusant de se laisser filmer, dissimulant son visage en tournant le dos à la caméra, ou derrière un masque en papier composé à partir de différentes photos de lui-même. S'il finira par tomber le masque, ce petit jeu de cache-cache se poursuivra, Boris se laissant filmer par une amie (Sarah Moon Howe, également co-réalisatrice du film) tandis qu'il est occupé à ses affaires, comme indifférent au film en train de se faire, mettant de l'ordre dans son atelier, parmi ses bobines et ses archives – celles de sa propre vie comme celles de l'histoire et des grands événements qui l'ont accompagnée, et dont le film se veut une exploration, un petit tour d'horizon – une balade. « Je te montre l'histoire, comment elle est entrée en moi. C'est mon histoire mais c'est aussi l'histoire de tout le monde. » Film-bilan et vue d'ensemble sur une vie filmée, Fantômes du passé fait ainsi figure de dernier inventaire avant disparition : la revisite d'une œuvre, au sens où les fantômes viennent nous « revisiter » quelquefois – quand eux non plus ne peuvent se résoudre à disparaître tout à fait.
Comment finir ? Tel est donc la question qui hante cette fin de cycle, et que chaque film pose, en filigrane d'abord, puis de plus en plus frontalement. Mais au fond, est-ce vraiment envisageable ? Face à ce qui se dégage de ces derniers films, il est permis d'en douter, tant il semble plus que jamais improbable de voir se finir ce qui ne peut se résoudre à finir, ce qui peut-être est voué à ne jamais finir – tant qu'il restera du souffle, quelques chutes de pellicules, quelques photos retrouvées dans un tiroir ou sous un lit, comme par miracle, comme un hasard heureux : signe qu'il faut continuer.
C'est la logique de tout accumulateur, pour qui rien n'est jamais clôt, pour qui tout est toujours ouvert, peut toujours se voir adjoindre un nouvel élément, encore un petit morceau par-ci par-là... Sans pour autant dénaturer l'ensemble, dont la logique interne, la cohérence profonde, est celle de l'accueil permanent.
Plus qu'une tour imprenable, Babel aura donc été cette citadelle ouverte à tous les bruits du monde, tous les hors-champs de l'histoire et du temps. Comment finir ? demande le filmeur. En ne finissant pas, répond le cinéaste.
*
À ceux qui voudront poursuivre leur découverte du travail de Boris Lehman, le coffret DVD Babel (fin de cycle) édité par RE:VOIR regroupe donc les 4 films :
Oublis, Regrets et Repentirs (2016, 42 minutes)
Une Histoire de cheveux (Sibérie) (2020, 97 minutes)
Funérailles (de l'art de mourir) (2016, 97 minutes)
Fantômes du passé (comment l'histoire est entrée en moi) (2020, 87 minutes)
Le tout accompagné d'un livret bilingue de 112 pages édité par les éditions Yellow Now et la Fondation Boris Lehman.
Sortie officielle le 3 mars 2024.
Disponible ici : https://re-voir.com/shop/fr/boris-lehman/1597-boris-lehman-babel-fin-du-cycle.html
DVD release of BABEL (Fin du cycle) - Boris LEHMAN
BABEL (fin du cycle) : Notes on 4 films by Boris Lehman
English version (texte en français dans le poste suivant)
So here we are - the end. The end, really? You'd have to think so. It all began in the 60s, with the Club Antonin Artaud's film therapy for the mentally ill. It came to an end at the dawn of the 2020s, almost sixty years later. In the meantime, what? A life of cinema, a life in cinema - a life filmed, like Jonas Mekas or Alain Cavalier. A few hundred films, short or long, in 8 or 16 mm, to which must be added an astronomical sum of photographs, various images, postcards, scraps of paper, little notes, little words, filmed or not, all gravitating around the work, participating in it in one way or another, from near or far.
To conclude his life's work - to which was given the beautiful name of Babel, officially begun in 1983 - Lehman opens this "end of cycle" with a little film entitled Oublis, Regrets et Repentirs, taken from the lost reel of a previous film, which the filmmaker didn't know what to do with. It has to be said that everything went wrong during the shoot: from the theft of his camera to the various technical problems encountered, including a Nagra recorder acting up - so many signs inviting him to give up, to put an end to the work. Yet the filmmaker persists, delivering sequences that are as chaotic as they are funny. Sounds that get carried away, out of sync and out of control. High-pitched voices, high-pitched monologues... Confusion reigns. Oublis... is a film that does as it pleases - like Lehman, in fact. It's also a film based on an absence, on the anguish of an absence: this "black hole", i.e. the seven months preceding the start of filming, seven months during which Lehman filmed nothing, he tells us. Seven months of his life, "of which no trace will remain". What could be more terrible for someone whose particular obsession is to keep track of everything? Who makes a point of losing nothing, of wasting nothing? "Sauvegarde d'un film oublié" could have been the subtitle of Oublis..., which fully assumes and asserts its value as a "reject", a film recycled from the preciously preserved debris of everyday life.
"That was back when I believed in images.
We traveled from one country to another, meeting people.
And we would film these people and put them in the film.
And in the end, they were the ones who made the film, who made it a film.''
-from Une Histoire de cheveux (Sibérie)
But the journey must come to an end - back home. But how do you come back after that? It would be like coming back from the dead...
We're not so sure about that. So, after Siberia, it's time to return: Ulysses returns to Ithaca, even if he gets a little lost along the way. At a Parisian café, the filmmaker-traveler learns from an old acquaintance that he has recently been buried. It is on this unlikely premise of a Lehman from beyond the grave that Funérailles (de l'art de mourir) opens, the third film in this end-of-cycle, in which Lehman has fun staging his own demise with a mixture of humor and seriousness. More than a mortifying experience, this film should be seen as a performance, the fabulist re-enactment of an event that has yet to take place: an attempt to overcome the taboo of death, imbued with the atmosphere of rites that, through staging, rediscover their properly poetic value, somewhere between paganism and religiosity. At the edge of this (fictitious) tomb, the filmmaker wonders what to do with everything he's stored up all these years, all these images, documents, books, clothes, films - all this junk once again, obsessively preserved? Faced with his lifelong obsession, Lehman seems determined to lose everything, to burn himself everything that, no matter how hard he tries, was destined to disappear. Thus, Lehman the collector, the collector-filmer, meets Franz Kafka's (whose ghost haunts the film) ultimate wish at the end of the journey: this leads to a bewildering scene in which the filmmaker gathers all the editions he could find of the Prague writer into a heap, to turn them into an inferno. Auto-da-fé or bonfire? An act of self-destruction or a celebration of life at its most ephemeral? With this gesture, Lehman asserts his destiny as an eternal CSDF - Cinéaste Sans Domicile Fixe - as a final (?) point in the journey of one who "wanted to be nomadic and free, in a world where everything is a prison, frozen and tied up", thus fulfilling (even symbolically) his dream of dying in a bonfire.
But leaving is not so simple: witness the long, moving sequence shot that closes Funérailles, a long on-camera confession by the filmmaker who admits he can't stop there, while the film itself stretches on into the minutes of an "interminable" epilogue - that of a work "that doesn't want to end, that wants to stay in fact."
Just when we thought Babel was finished, here comes a final film that (really?) concludes a work that never ends. Fantômes du passé [comment l’histoire est entrée en moi] has a special status all the same. Bonus, after-the-fact commentary, filmic will-o'-the-wisp? More like a kind of balance sheet, an opportunity to plunge back into the archives of a life. The film is based on a gap, on a wound and a crack - the one that appeared in the life and heart of the filmmaker himself (who suffered a heart attack before making the film), and the one discovered on the wall of his studio, to which it seems strangely to respond. Cracked heart, cracked wall: two cracks that become one, from which all sorts of past ghosts escape to form yet another stone to be placed on Babel. As if aware of the reprieve he's been granted, Lehman goes through his film like a quasi-ghost at first, refusing to let himself be filmed, hiding his face by turning his back to the camera, or behind a paper mask made from various photos of himself. Although he eventually drops the mask, this little game of hide-and-seek continues, with Boris allowing himself to be filmed by a friend (Sarah Moon Howe, also co-director of the film) while he goes about his business, as if indifferent to the film being made, tidying up his studio, among his reels and archives - those of his own life as well as those of history and the great events that have accompanied it, and of which the film is intended as an exploration, a little tour d'horizon - a stroll. "I show you the story, how it entered me. It's my story, but it's everyone's story too." A film that takes stock and provides an overview of a filmed life, Ghosts of the Past acts as a final inventory before disappearance: the revisiting of a work, in the sense that ghosts sometimes come to "revisit" us - when they too cannot bring themselves to disappear altogether.
This is the logic of all collectors, for whom nothing is ever closed, for whom everything is always open, can always have a new element added to it, yet another little piece here and there... But this doesn't alter the whole, whose internal logic, its profound coherence, is one of permanent welcome.
More than an impregnable tower, Babel is a citadel open to all the noises of the world, all the off-fields of history and time. How do you finish? By not finishing," replies the filmmaker.
*
For those who wish to continue their discovery of Boris Lehman's work, the DVD box set Babel (fin de cycle) published by RE:VOIR includes the 4 films:
- Oublis, regrets et repentirs (2016, 42 minutes)
- Une Histoire de cheveux (Sibérie) (2020, 97 minutes)
- Funérailles (on the art of dying) (2016, 97 minutes)
- Fantômes du passé [comment l’histoire est entrée en moi] (2020, 87 minutes)
All accompanied by a 112-page bilingual booklet published by Yellow Now Editions and the Boris Lehman Foundation.
Official release date: March 3, 2024.
Available here: https://re-voir.com/shop/fr/boris-lehman/1597-boris-lehman-babel-fin-du-cycle.html
20/12/2023
DVD release of Footprints: Bill Morrison's film on Bluray Digipack
Available here / Disponible ici
FRANÇAIS (English version below)
Digipack BluRay avec 15 films de Bill Morrison
+ livret bilingue FR/EN de 44 pages avec des textes de Anne-Violaine Houcke, Laura Staab et Steve Dollar
DISTRIBUÉ MONDIALEMENT SAUF EN AMÉRIQUE DU NORD (JUSQU'AU 01/01/2025) ET AU ROYAUME-UNI
Morrison
libère un film primordial de son destin de matière vouée à la
décomposition et à l’obscurité : entre ses mains, le film se transforme
pour redevenir une expérience. Bien qu’il ne cherche guère à restaurer
les images pour leur rendre l’éclat du neuf, Morrison les restaure bien,
dans leurs différents états de détérioration, pour les rendre au
mouvement et aux gens. Et c’est là que réside en partie la magie de son
cinéma : la magie intemporelle d’images animées sur un écran et devant
un spectateur. – Laura Staab
Un film comme Beyond Zero : 1914-1918,
constitué majoritairement d’images d’archives documentaires de la
Première Guerre mondiale, livrées sans légendes ni commentaires, sans
volonté de faire oeuvre d’historien, confronte le spectateur à une
expérience sensible éprouvante du conflit. La dramaturgie monstrueuse à
laquelle on assiste tient à la nature même de l’image photo-filmique,
indicielle et matérielle : les corps des soldats, des blessés, des
infirmières se déforment, s’agitent sous des détériorations qui semblent
des pluies de bombes, se trouent, disparaissent dans la matière en
décomposition du celluloïd. C’est, littéralement, leur dernière trace
laissée en ce monde, imprimée dans le celluloïd, qui disparaît devant
nous. – Anne-Violaine Houcke
FILMS
FOOTPRINTS / 1992, 6'
THE FILM OF HER / 1996 / 12'
GHOST TRIP / 2000 / 23'
THE HIGHWATER TRILOGY / 2006 / 31'
PORCH / 2007 / 9'
WHO BY WATER / 2007 / 18'
RELEASE / 2010 / 13'
JUST ANCIENT LOOPS / 2012 / 26'
RE:AWAKENINGS / 2013 / 18'
BEYOND ZERO: 1914-1918 / 2014 / 40'
THE DOCKWORKER’S DREAM / 2015 / 17'
THE LETTER / 2018 / 13'
WILD GIRL / 2021 / 6'
LET ME COME IN / 2021 /11'
HER VIOLET KISS / 2021 / 5'
+ livret bilingue FR/EN de 44 pages avec des textes de Anne-Violaine Houcke, Laura Staab et Steve Dollar
Pour en savoir plus, voici la bande-annouce.
English
BluRay Digipack with 15 films by Bill Morrison
+ 44-page bilingual FR/EN booklet with texts by Anne-Violaine Houcke, Laura Staab and Steve Dollar
DISTRIBUTED WORLDWIDE EXCEPT IN NORTH AMERICA (UNTIL 01/01/2025) AND THE UNITED KINGDOM
Morrison releases primordial film from being material that is destined to decomposition and darkness: in his hands, it transforms to become film as experience once more. Uninterested in restoring images to a pristine state, Morrison is nonetheless invested in restoring images, in various conditions of collapse, to movement and to people. And this is some of the magic of his cinema: that timeless magic of images being animated on a screen before a spectator. – Laura Staab
A film like Beyond Zero: 1914-1918, mainly made up of archival documentary footage from the First World War, presented without any captions or commentary, without the authority of a historian, gives viewers a harrowing sensory experience of the conflict. The monstrous drama stems from the very nature of photo-filmic celluloid, which is both indexical and material: the bodies of the soldiers, of the wounded and of the nurses are deformed, they shake under the filmic damage which looks like bombs raining down, they are riddled with holes, they disappear in decomposing celluloid. This is, quite literally, the last trace they will leave in this world, printed on celluloid, disappearing before our very eyes. – Anne-Violaine Houcke
FILMS
FOOTPRINTS / 1992, 6'
THE FILM OF HER / 1996 / 12'
GHOST TRIP / 2000 / 23'
THE HIGHWATER TRILOGY / 2006 / 31'
PORCH / 2007 / 9'
WHO BY WATER / 2007 / 18'
RELEASE / 2010 / 13'
JUST ANCIENT LOOPS / 2012 / 26'
RE:AWAKENINGS / 2013 / 18'
BEYOND ZERO: 1914-1918 / 2014 / 40'
THE DOCKWORKER’S DREAM / 2015 / 17'
THE LETTER / 2018 / 13'
WILD GIRL / 2021 / 6'
LET ME COME IN / 2021 /11'
HER VIOLET KISS / 2021 / 5'
+ 44-page bilingual FR/EN booklet with texts by Anne-Violaine Houcke, Laura Staab and Steve Dollar
To find more, here is the trailer.
13/12/2023
DVD release of Doc's Kingdom / Scenes from the Class Struggle in Portugal
PRÉ-VENTE À PARTIR DU 13 DÉCEMBRE - SORTIE OFFICIELLE LE 11 JANVIER
Available here / Disponible ici
A partir de 1975 et de la révolution des OEillets, Robert Kramer noue avec le Portugal un puissant lien politique et cinématographique qui s’exprime notamment à travers quatre oeuvres successives : With Freedom in Their Eyes (1976), un livre de photographies prises en Angola au moment où le pays se libère du colon portugais et tombe dans la guerre civile ; le documentaire militant Scenes from the Class Struggle in Portugal (1977), qui fait le point sur la révolution ; L’Etat des choses de Wim Wenders (1982), produit par le Portugais Paolo Branco, tourné à Sintra et dont Kramer a coécrit le scénario ; Doc’s Kingdom (1988), produit par le même Paolo Branco, et où le personnage de Doc, né dans Ice en 1969, dérive mélancoliquement sur les quais de Porto avant de retourner aux États-Unis deux ans plus tard dans Route One/USA.
« Je vis et je filme à l’étranger, depuis 1979. De mes huit derniers films, Doc’s Kingdom est le premier que j’ai pu tourner en anglais. C’est aussi le premier qui revient sur mon matériau : les États-Unis, un chez soi, votre pays, ce dont vous faites inévitablement partie et ce à quoi vous êtes à jamais extérieur. » (Robert Kramer)
FILMS
DOC'S KINGDOM / 1988 / 90'
SCENES FROM THE CLASS STRUGGLE IN PORTUGAL / 1977 / 90'
+ livret bilingue FR/EN de 52 pages
English
PRE-SALE FROM DECEMBRE 8 - OFFICIAL RELEASE JANUARY 11
Following the Carnation Revolution in 1975, Robert Kramer forged a powerful political and cinematic bond with Portugal, which he expressed in four successive projects: With Freedom in Their Eyes (1976), a book of photographs taken in Angola when the country was liberated from Portuguese colonial rule and descended into civil war; the activist documentary Scenes from the Class Struggle in Portugal (1977), which analyzes the country’s revolution; Wim Wenders’ The State of Things (1982), made with Portuguese producer Paolo Branco, filmed in Sintra and co-scripted by Kramer; Doc’s Kingdom (1988), produced by Paolo Branco, in which the Doc character, first seen in Ice in 1969, wistfully drifts around Porto’s docks before returning to the United States two years later in Route One/USA.
“I’ve been living and filming abroad since 1979. Doc’s Kingdom is the first of the last eight movies I’ve been able to shoot in english. It is also the first to get back into my material : the USA, a home, a home land, what you are inevitably a part of and what you are forever outside.” (Robert Kramer)
FILMS
DOC'S KINGDOM / 1988 / 90'
SCENES FROM THE CLASS STRUGGLE IN PORTUGAL / 1977 / 90'
+ 52-page bilingual booklet
20/09/2023
DVD release of Cinex 12 : Su Friedrich
Sortie en DVD de "Cinex 12 : Su Friedrich" avec un documentaire sur le cinéaste Su Friedrich par Frédérique Devaux et Michel Amarger et 4 courts métrages de l'artiste en bonus.
Film documentaire sur le cinéaste Su Friedrich par Frédérique Devaux et Michel Amarger.
Su Friedrich, née en 1954 à New Haven, est installée à Brooklyn.
Elle
signe des films indépendants dès les années 1970, explorant depuis
ses débuts la condition des femmes, la revendication des combats
lesbiens, son histoire familiale, l’évolution de la société
américaine. A travers ses recherches graphiques à même la pellicule,
ou incrustées dans ses œuvres numériques, avec un regard acéré, elle
développe, dans la fiction, le documentaire, le témoignage militant,
une quête et une critique identitaire dans son environnement.
FILMS
CINEXPÉRIMENTAUX #12 : SU FRIEDRICH
+ 3 films de Su Friedrich
BUT NO ONE 1982, 9’
SEEING RED 2005, 28’
CINETRACTS 2020, 2’
MICROCOMSME 2015, 4’ document par Su Friedrich
English
DVD release of "Cinex 12 : Su Friedrich" with a documentary film about the filmmaker Su Friedrich by Frédérique Devaux and Michel Amarger and 4 bonus shorts by the artist.
Documentary film about the filmmaker Su Friedrich by Frédérique Devaux and Michel Amarger.
Su Friedrich, born in 1954 in New Haven, is based in Brooklyn. She has been making independent films since the late 1970s, exploring women’s condition, the lesbian struggle, her family history and the evolution of American society since her beginnings. Through her graphic research in 16mm film, or embedded in her digital works, with a sharp eye she develops, in fiction, documentary and militant testimony a quest and a critique of identity in her environment.
FILMS
CINEXPÉRIMENTAUX #12 : SU FRIEDRICH
BUT NO ONE 1982, 9’
SEEING RED 2005, 28’
CINETRACTS 2020, 2’
MICROCOMSME 2015, 4’ document by Su Friedrich