14/04/2018

Mahine Rouhi & Olivier Fouchard, DVD '' Films alchimiques et Carnets d'ateliers ''


Carnets d'alchimistes



" Comment réalisez-vous vos films, techniquement et économiquement ?
Artisanalement, archaïquement, précairement, sans un rond-ement...
Les considérez-vous comme expérimentaux ou préférez-vous un autre terme ?
Expert-mentaux, ex-pairs manteaux, ex-pairs-rie-ment-taux, ex-pères, compères et menthe à l'eau... "
Exploding à Olivier Fouchard

" Art : Recycler ou conserver ? Restaurer ? Laisser pourrir ! "


Olivier Fouchard est né en France en 1969. Il débute le dessin et la peinture au milieu des années 80. À sa sortie de seconde (1987), il rentre à l'école municipale des Beaux-Arts de Cambrai. L'atmosphère autoritaire de l'institution ainsi que des hospitalisations forcées censure toute créativité. C'est le même schéma qui se répète durant plusieurs années, lors de son entrée à la Tapisserie de Lisses ainsi qu'avec ses études en sérigraphie.
Ce n'est qu'à son arrivé au Beaux-Arts de Grenoble que plusieurs rencontres décisives ont lieu. Celle avec les membres du groupe Metamkine, qui l'initie aux techniques de tirage artisanal. Olivier a été membre actif du MTK de 1995 à 1998. Il fréquente également le 102, espace autogéré et autonome, y rencontrant Roselyne Roche et Christophe Auger. Enfin, c'est au Beaux-Arts qu'il fait la rencontre déterminante de Mahine Rouhi, avec laquelle il travailla par la suite sur de nombreux films.
Évoluant dans un milieu solidaire et propice à la création artisanal et indépendante, Olivier développe une esthétique singulière, nourrie par une connaissance approfondie des différentes plateaux et éléments que constitue l'appareillage argentique. Ses premiers films sont tirés avec une vieille Truca Bell & Howell des années 40, et développés avec des émulsions-maisons.

De sa filmographie de près de 100 films à formats et supports variables, on peut cerner deux registres essentiels, constitutifs de sa démarche passionnée.
D'une part, traiter les motifs et figures de ses films par tout les moyens possibles et inimaginables - mécaniques, optiques, chimiques - afin de, comme il l'énonce, faire " rendre gorge " aux images. Parallèlement à cette entreprise d'épuisement du visible, et fidèle en cela à l'esprit du MTK et de L'Abominable, il s'agit de faire " rendre gorge " au matériau filmique même et à son appareillage. C'est donc de ses productions aux financements et ressources matérielles toujours très restreintes qu'il forgea ses films.
D'autre part, cette écologie technique mise en place a comme horizon esthétique de développer, au sein de l'illusion filmique, des mondes perçus comme autonome. Tels des fioles d'un laboratoire d'alchimiste dans lesquels se meuvent des pierres philosophale en gestation.

La rencontre entre Olivier et Mahine a été déterminante dans l'élaboration de ces deux registres. Leurs travaux communs débutent en 2000, prenant les " sentiers lents et escarpés d'un montage archaïque d'images figuratives à la matérialité subite, essentielle, et de sonorités animant ces plans souvent fixes, qui finissent par nous regarder. " Leurs films, ainsi que les réalisations solitaires d'Olivier, sont à la frontière ténue entre l'abstraction matériologique et la fiction ésotérique, entre la plasticité lumineuse et les récits mystiques limbaires.
On ne peut s'empêcher de penser que les années sérigraphiques furent décisive sur sa pratique du cinéma. Il s'agit en effet de trouver la couleur et de suivre la ligne. Mais l'influence est seulement technique, pas esthétique. Si c'était le cas, ce ne serait pas des concentrées d'énergie chimique qui seront venues au monde, mais d'insipides films publicitaire.




                               Le Granier 


Carnets d'ateliers

                                      PTKHO



Tahousse





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Dans cette première édition exclusivement dédiée aux deux artistes, vous trouverez une réalisation solo de Mahine Rouhi (PTKHO, 7', 16mm, n&b, son, 2001) et une co-réalisation Fouchard/Rouhi (Tahousse, 31', 16mm, coul., son, 2001-2006). Les Carnets d'ateliers (76', digital, coul/ / n&b, son, 2015) s'inscrivent dans la pratique de l'autoportrait chère à Olivier Fouchard. Il y suit la démarche du peintre, qui utilise sa propre image pour questionner d'un même geste son rapport au monde et à soi, et l'évolution de cette situation dans le temps. Ainsi, c'est toute une phénoménalité de l'autoportrait, de l'auto-apparaître, qui s'émancipe des normes figuratives pour s'engager dans la disparition, la dissemblance, jusqu'à interroger la schizophrénie et le spectre du l'auteur. Enfin, deux films alchimiques d'Olivier Fouchard viennent conclure cette édition. La promenade bleue (14', 16mm, coul., sil., 2006), une sorte de journal intime partagé entre l'altérité et la contemplation de la nature ; et Le Granier, Version I (15', super 8, coul., sil., 2007), fiction apocalyptique face à la sidérante beauté multiple d'une simple montagne.

Tahousse est emblématique. Les tirages couleurs ont été faits directement sur le positif original. La pratique mélange du tirage optique à la Truca et du tirage contact. Rendre gorge aux images ne se fait pas de suite. Chaque plans du film firent l'objet de multiples manipulations, essais, expérimentations : intensifier telles ou telles dominantes chromatiques, préserver tels ou tels traitements chimiques. Comme le plumage du paon, mille et une forme naissent d'un même désir, celui renouvelé année après année de s'évader de la ville pour se réfugier en montagne.
Bien que leurs œuvres s'inscrivent dans la plus pure expérimentation laborantine, elles n'en sont pas moins dénuées d'un horizon politique. Celle d'une vive attaque envers l'emprise techniciste de l'industrie, censurant toutes déviations aux normes d'utilisation, sous couvert de respect du support. Une censure technique doublée d'une idéologie qui ne se manifeste que sous des masques, idéologie  qui justement consiste à masquer les énergies et puissances du support filmique.

" [...] des images brutales, rugueuses et crues portant haut l'outil qui les créent, l'outil qui prolonge cette main que l'on voudrait bien nous couper [...] "
(Martine Rousset)

Que ce soit l'obscénité du réel de l'image, les affects de souvenirs qui ne nous appartiennent pas, la blancheur de la virginité et de l'oubli, le net et le flou, la totalité et le détail ; voir les films d'Olivier et Mahine c'est oublier pour enfin redécouvrir. 
Voir les films d'Olivier et Mahine, c'est s'oublier soi même dans des cycles ontogénique d'images et de sons, parmi des motifs et figures douées d'une vie propre... toujours en gestation... toujours s'évanouissant... à jamais se renouvelant.


La promenade bleue


" L'histoire du cinéma, l'histoire des images, est quelque chose qui se recycle sans cesse [...]. C'est comme le processus de la vie. Il y a des choses qui pourrissent, qu'on enterre, qui redonnent de l'humus, qui deviennent du fumier, pour donner naissance à d'autres graines et d'autres plantes qui ont leur vie, qui se reproduisent, et qui à leur tour meurent et donnent naissance à autre chose. C'est le contraire de la vanité morbide, c'est la vie qui se perpétue. Et donc je verrais d'un assez bon œil que les gens me piquent des images, s'ils veulent bien laisser les originaux tranquilles. Et encore, s'ils le font, tant pis, du moment qu'ils prennent des images et qu'ils les retravaillent à leur tour. Le cinéma expérimental, c'est bien donner à son tour en filmant soi-même des images qui vont pouvoir être détournées ensuite. Réutiliser, c'est d'abord dévoyer. Dévier une trajectoire, donner une autre voie. ''

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Also Available at Re:Voir Vidéo :
Flamen'co, 7', 16mm, n&b, sil., 2002-2003 in. Cinéma Différent : Volume 2
Séries de longs entretiens, parmi lesquels un avec Olivier Fouchard et Mahine Rouhi, in. Fabriques du cinéma expérimental.


Toutes les citations sont extraites de :
Exploding, n°10+1, '' État des yeux ", Avril 2006.
Fabriques du cinéma expérimenal, Éric Thouvenel & Carole Contant, Paris Expérimental, n°19, Classiques de l'Avant-Garde, Paris, 2014.

Rédaction : François Moreau