Point de Départ de Robert Kramer - Version française (English version below)
« Je me demande comment se souviennent les gens qui ne filment pas, qui ne photographient pas...
Comment faisait l’humanité pour se souvenir... » - Chris Marker
C’est sur cette citation, célébrant le pouvoir de filmer, que Kramer ouvre son film. Dès lors, il nous
révèle aussitôt son intention : documenter et capturer autant que possible pour témoigner des
traumatismes infligés sur la population vietnamienne dans un contexte de post-indépendance, 20
ans après la guerre.
En dressant le portrait de divers locaux et en filmant des fragments de vie quotidienne au Vietnam,
Kramer dénonce les ravages causés par les États-Unis sur la population vietnamienne, tout en
offrant une réflexion sur le pouvoir de l’image en tant que vecteur de mémoire collective. Il met en
lumière la perte d’identité chez les jeunes générations, qui, contrairement à leurs ainés, se tournent
vers l’occident pour se reconstruire, délassant la mémoire de la guerre. Comme le souligne un vieil
homme vietnamien : « Le Vietnam s’est ouvert au monde extérieur. Peut-être que le mode de vie des
autres pays a envahi le Vietnam. » Kramer, en s’immisçant dans leur intimité, capte leurs traditions
et modes de vie dans un geste presque conservatoire.
Il interroge un éventail de personnages. Un traducteur, le directeur de la télévision vietnamienne,
des ouvriers, une danseuse, une esthéticienne et un réalisateur. Tous unis par un lien commun : la
caméra qu’ils considèrent comme un outil essentiel à leur mémoire. Cette dernière leur permet de
préserver le souvenir du passé et des souffrances endurées durant la guerre.
Le traducteur, par exemple, décrit sa caméra comme un prolongement de sa mémoire : « Je l’avais
aussi pour filmer la libération de Saigon. Elle est ma mémoire. » Quant à la danseuse, elle visionne
avec regret et nostalgie une vidéo d’elle dansant avant de perde ses jambes lors d’une explosion
engendrée par l’armée américaine.
En parallèle, Kramer interroge Linda, une Américaine condamnée à 40 ans de prison pour avoir
aidé un fugitif. C’est en filmant le désarroi et la tristesse de Linda qu’il met ainsi en lumière et
confronte à la fois, la culpabilité ressentie par certains Américains face au génocide commit par leur
gouvernement. Cette culpabilité est subtilement confrontée tout au long du film, à une société
vietnamienne traumatisée, mais décidée à oublier et à se reconstruire, paradoxalement, en adoptant
le modele économique de l’ancien ennemi.
Le film se termine par un écriteau « les temps changent, Linda n’a pas changé avec » . Kramer y
souligne la divergence dans la perception du temps : certains tentent de se reconstruire, tandis que
d’autres restent figés dans une réalité passée. C’est la que repose tout le film : la caméra, comme
objet de mémoire, permet à chacun d’avancer tout en restant conscient d’un monde révolu.
Point de départ, Robert Kramer (english version)
« I wonder how people who don’t film, who don’t take photos, manage to remember... How did
humanity used to remember... » - Chris Marker
It’s with this quote, celebrating the power of filming, that Kramer open his film. It is thus how he
immediately reveals his intention in Point de départ : to document and capture as much as possible
to bear witness to the trauma inflicted on the Vietnamese population in a post-independence
historical context.
By portraying various locals and filming fragments of daily life in Vietnam, Kramer denounces the
devastation caused par the United States on the Vietnamese population while offering a reflection
on the power of the image as a vehicle for collective memory. He highlights the loss of identity
among younger generations, who, unlike their elders, take cues from the West to reconstruct their
country and their lives, shedding the memory of the war. As an elderly Vietnamese man states,
« Vietnam opened itself to the outside world. Perhaps, other country's lifestyles have invaded
Vietnam. » By entering into intimate exchanges with the people he films, Kramer captures their
traditions and lifestyles in an almost preservative gesture.
He interrogates a large range of people : a translator, a Vietnamese television director, several
workers, a dancer, an esthetician and a movie director. They are all united by a common bond : the
camera, which they consider an essential tool for their memory. This tool allows them to preserve
the memory of the past and the suffering endured during the war.
The translator, for example, describes his camera as an extension of his memory : « I also used it to
film the liberation of Saigon. It is my memory. » As for the dancer, she watches with regret a video
of herself dancing before losing her legs in an explosion caused by the American army.
In parallel, Kramer interviews Linda, an American sentenced to 40 years of prison for helping a
fugitive. By filming Linda’s distress and sadness, he highlights and confronts the guilt felt by some
Americans watching their government committing a genocide. This guilt is subtly confronted
throughout the film with a traumatized Vietnamese society that is determined to forget and rebuild,
paradoxically, by adopting the economic model of their former enemy.
The film ends with text that reads « Times change, Linda has not changed with them. » Here,
Kramer emphasizes the divergence in the perception of time : some are trying to rebuild, while
others remain stuck in a past reality. This is where the essence of the film lies : the camera, as an
object of memory, allows each person to move forward while remaining aware of a bygone world.