( text in English below)
Ce corpus de dix-huit court-métrages couvre cinquante années de la production artistique de Werner von Mutzenbecher. De Dinge (1968) à Personae (Drei Generationen) (2017), cette sélection permet d’appréhender la grande diversité de l’exploration cinématographique de l’artiste. Si l’activité première de Werner von Mutzenbecher est la peinture, sa filmographie composée d’une centaine de films en 8mm, super 8, 16mm ou vidéo témoigne d’une grande sensibilité à la singularité du médium cinématographique. Ces dix-huit films forment un ensemble protéiforme; la maîtrise formelle de certains de ces films peut évoquer le cinéma structurel, tandis que d’autres semblent davantage suivre une logique spontanée, à la manière du cinéma diariste. Chez Mutzenbecher, la maîtrise formelle n’est jamais contradictoire avec une forme de subjectivité, de lyrisme et de poésie.
A travers chacun de ces films, l’artiste cherche à explorer toutes les potentialités de l’image cinématographique. Dans Movimenti (1990), la caméra fixe est positionnée face à un mur blanc ; un homme entre et sort du plan. Chaque nouvelle apparition est l’occasion de surprendre le spectateur ; l’échelle du plan ne cesse de se modifier, et le côté par lequel l’homme entre dans le cadre est toujours imprévisible. Dans la simplicité de cette structure formelle, Mutzenbecher délivre en quelques minutes une étude sur le mouvement d’un corps et une réflexion sur le champ et le hors-champ. Dans Objekte (Flickerfilm) (2017), c’est à l’oscillation lumineuse propre au dispositif cinématographique que s’intéresse l’artiste. Le film alterne des plans noirs avec de gros plans sur des objets ; le vacillement de la flamme d’une bougie reflète alors l’oscillation du cône de lumière de la projection cinématographique, et une table d’échec symbolise la structure du film lui-même composé alternativement de plan blanc et noir. Le cinéma de Mutzenbecher semble toujours réfléchir les propriétés du cinéma pour déployer la puissance plastique de ce médium.
Movimenti Objekte (Flickerfilm)
A la différence de son œuvre picturale, le cinéma de Mutzenbecher se tourne peu vers l’abstraction et se compose davantage d’images figuratives de la vie matérielle. Kunsthalle (1969) illustre ce déplacement ; l’auteur y filme la Kunsthalle Basel, mais au lieu de filmer les œuvres d’art exposées, il porte son attention sur les détails matériels du bâtiment : l’encadrement des différentes salles, les grilles d’aération, les défauts des murs en très gros plan. Il retrouve ainsi les formes géométriques qu’il travaille dans ses tableaux mais dans le réel même, comme si le cinéma permettait d’appréhender les propriétés plastiques du monde qui nous entoure pour porter un nouveau regard sur le réel. A cet égards Dinge (1968) ou la première partie d’Aktionen (1971) peuvent rappeler la poésie de Francis Ponge, tant les gros plans sur les objets du quotidien permettent de révéler la matérialité des objets du quotidien grâce à la sensation haptique que peut produire l’image cinématographique. La caméra de Mutzenbecher permet alors de raviver nos sensations et nos perceptions des objets les plus banals que le quotidien et l’habitude avaient émoussées. A l’image de l’eau ondoyante de Rheinhafen (1978) qui reflète un port industriel en redonnant à cet espace froid une douceur paisible, ce cinéma nous fait redécouvrir l’étrange beauté du monde.
Ainsi, l’attention portée aux propriétés propres du médium cinématographique, ne donne pas lieu à un cinéma froid et purement théorique. Dans un texte écrit en 2003 par Mutzenbecher et édité dans le livret accompagnant l’édition DVD, l’auteur écrit : « le cinéma, c’est l’émotion ». Il reprend à son compte la fameuse expression de Samuel Fuller dans Pierrot, le fou. Mais là où le cinéaste américain considérait surtout l’émotion à partir de la narration (« There’s love, hate, action, violence, death… in one word : emotion »), Mutzenbecher considère l’émotion comme une propriété essentielle du médium cinématographique. Filme (1982) repose ainsi sur la dimension intrinsèquement nostalgique du cinéma ; le film est un montage de films super 8 représentant des proches du cinéaste. On voit ainsi les visages vieillir au fur et à mesure du film. Le refilmage accentue la fragilité des figures qui ne sont plus que des souvenirs, mais si le montage rapide et saccadé rappelle l’évanescence du temps, le cinéma permet tout de même de préserver une trace de ce passé. L’émotion naît alors de cet écart paradoxal entre la sauvegarde de la mémoire et la marque de la perte. Les figures et les formes prennent une dimension fantomatique ; les surimpressions de Projektionen (1985) ou d’Untergrund (1985), ne cessent de travailler ce rapport entre présence et absence. L’immatérialité des films projetés sur d’autres images ou sur le corps même du cinéaste, donne l’impression au spectateur de voir des images mentales, comme autant de réminiscences ou de rêves que la pellicule permet de libérer. Le spectateur retrouve alors la fascination des spectateurs des premiers temps, qui voyaient dans les films une mystérieuse image de fantômes du passé.
FILMS
1. I/68 Dinge 1968, 16mm, 8' b&w silent
2. II/69 Kunsthalle 1969, 16mm, 6' b&w silent
3. III/71 Aktionen 1971, 16mm, 15' b&w sound
4. XIV/82 Filme 1982, 16mm, 21' color sound
5. XV/84 Vogelhaus 1984, 16mm, 9' b&w sound
6. XVI/84 Fenster III 1984, 16mm, 4' b&w silent
7. XXVII/03 Filmmaker's afternoon 2003, 16mm, 6' b&w silent
8. XIX/88 4x8 1988, 16mm, 3' color silent
9. Movimenti II/90 1990, 16mm, 3' color silent
10. XVII/85 Projektionen 1985, 16mm, 8' b&w sound
11. Objekte (Flickerfilm) 2017, 16mm, 3'b&w silent
12. Personae (Drei Generationen) 2017, 16mm, 4' b&w silent
13. XX/88 Pelczyn 1988, 16mm, 12' color sound EN Subtitles
14. IX/75 Schlachthof 1975, 16mm, 20' color sound
15. X/78 Rheinhafen 1978, 16mm, 12' color silent
16. Rom 70/71 1970-71, Super-8, 20' color silent
17. XXII/90 Wolf-Passerelle 1990, 16mm, 6' color sound
18. XVIII/85 Untergrund 1985, 16mm, 5' b&w sound
Edition accompagnée d’un livret en anglais, français et allemand de 96 pages
Disponible depuis le 2 novembre 2021 ici/DVD available here : https://bit.ly/3HQ3dMM
- Robin Vaz
ENGLISH
This corpus of eighteen short films covers fifty years of
Werner von Mutzenbecher's artistic production. From Dinge (1968) to Personae
(Drei Generationen) (2017), this selection allows us to understand the great
diversity of the artist’s cinematographic exploration. If Werner von
Mutzenbecher’s primary activity is painting, his filmography, made up of around
a hundred films in 8mm, super 8, 16mm or video, testifies to a great
sensitivity to the uniqueness of the cinematographic medium. These eighteen
films form a protean whole; the formal mastery of some of these films may evoke
structural cinema, while others seem more to follow a spontaneous logic, in the
manner of diarist cinema. With Mutzenbecher, formal mastery is never
contradictory with a form of subjectivity, lyricism and poetry.
Through each of
these films, the artist seeks to explore all the potentialities of the
cinematographic image. In Movimenti (1990), the fixed camera is positioned
facing a white wall; a man enters and leaves the plane. Each new appearance is
an opportunity to surprise the viewer; the scale of the shot keeps shifting,
and the side through which a man enters the frame is always unpredictable. In
the simplicity of this formal structure, Mutzenbecher delivers in a few minutes
a study on the movement of a body and a reflection on and off the field. In
Objekte (Flickerfilm) (2017), the artist is interested in the luminous oscillation
specific to the cinematographic device. The film alternates black shots with
close-ups of objects; the flickering of a candle flame then reflects the
oscillation of the cone of light of the cinematic projection, and a chess table
symbolizes the structure of the film itself composed of alternating white and
black planes. Mutzenbecher's cinema always seems to draw attention to the physical properties of cinema in order
to highlight the esthetic
power inherent in the
materiality of this medium.
Unlike his
pictorial work, Mutzenbecher’s cinema leans little towards abstraction and
consists more of figurative images of material life. Kunsthalle (1969)
illustrates this shift; the author films the Kunsthalle Basel, but instead of
filming the works of art on display, he focuses his attention on the material
details of the building: the framing of the various rooms, the ventilation covers, the defects of the walls, all in extreme close up. He thus rediscovers the geometric shapes he
works with in his paintings,
but in a real-life setting,
as if cinema is able to help us better appreciate the plastic properties of the world around us in order to
take a new look at reality. In this respect, Dinge (1968) or the first part of
Aktionen (1971) may recall the poetry of Francis Ponge, as close-ups on
everyday objects reveals the materiality of these objects in a sort of tactile sensation that is produced through
the cinematic image. Mutzenbecher's camera thus makes it possible to revive our intimate perceptions
of the most banal objects that habit and the rhythms of a mundane life have blunted. Like the
rippling water in
Rheinhafen (1978) that reflects the industrial port on its banks and gives a rather cold space a peaceful softness,
this cinematic work helps us to rediscover the strange beauty
of the world.
Thus, the
attention Mutzenbecher pays to
the specific properties of the cinematographic medium does not give rise to a cold
and purely theoretical cinema. In a text written in 2003 by Mutzenbecher and
published in the booklet accompanying the DVD edition, the author writes:
"cinema is emotion". In a sense, he takes up the famous expression of Samuel
Fuller in Pierrot, le fou. But while the American filmmaker considered emotion
primarily from its narrative perspective ("There’s love, hate, action, violence,
death… in one word: emotion"), Mutzenbecher considers emotion to be an
essential property of the film medium. Filme (1982) is thus based on the intrinsically
nostalgic dimension of cinema; the film is a montage of super 8 films depicting
relatives of the filmmaker. We thus see the faces aging as the film progresses.
The re-filming accentuates the fragility of the figures which are no more than
memories, even if the rapid and jerky editing recalls the evanescence of time,
the cinematic projection still allows us to preserve a trace of this past. Emotion then
arises from this paradoxical gap between saving memory and the mark of loss.
Figures and shapes take on a ghostly dimension; the superimpositions of Projektionen (1985) or Untergrund (1985),
constantly work on this relationship between presence and absence. The
immateriality of the films projected onto other images or onto the filmmaker's
own body, gives the viewer the impression of seeing mental images, like so many
reminiscences or dreams that the film helps to
release. The spectator is then able to rediscover
the fascination of early
cinema audiences, who saw in the projected frames mysterious images of ghosts from the past.