Siegfried A. Fruhauf pense le cinéma comme un processus naturel au sens large. C’est que la nature comme sujet dans ses films sert toujours une investigation poétique sur les lois du cosmos et de l’univers. Son entreprise esthétique consiste donc à nous projeter au-delà des habitudes perceptives, pour voir les corps célestes qui se cachent dans la doublure d’un paysage. Pour ce faire, il utilise la caméra à l’instar d’un appareil scientifique, c’est-à-dire comme un instrument capable de prélever ce qui est invisible pour l’œil humain. Les images qui vont apparaître ensuite ne peuvent plus être déchiffrées par la physique ou les mathématiques. Ce qu’elles montrent tient de la catastrophe des étoiles qui brûlent et meurent.
Afin d’opérer cette traduction où la caméra nous donne à interpréter le langage des astres, le
cinéaste investit les limites de l’appareil de prise de vue. C’est en accentuant la décomposition
de la pellicule ou le parasitage du grain qu’il réalise de véritables odes au dérèglement. Ainsi,
ses images tiennent leur puissance du fait qu’elles placent l’appareil au premier plan, qu’elles
portent la vie propre de la machine à l’écran. Des manifestations plastiques inouïes vont alors
naître des “erreurs“ de représentation, prouvant qu’il y a un cosmos dans chaque image,
même pauvre.
De fait, parmi les phénomènes cosmiques, c’est peut-être la “dissolution“ qui constitue le
leitmotiv central des œuvres de Siegfried A. Fruhauf.
Dans Night Sweat (2008) le dialogue entre la nature et la nature du film continue d’interroger
les limites de la machine, mais en sublimant les interférences. Les assauts du zoom dans la
nuit finissent par liquéfier l’image pour nous aspirer dans un univers chaotique où notre esprit
projette des trous noirs sur la danse des pixels. En désorganisant l’image de la sorte via un
artisanat de l’ivresse, le cinéaste opère une rupture avec l’idée de représentation classique. Il
dissout la matière et nous plonge dans un désordre plastique que seul notre monde intérieur
peut réarranger. Le réel s’ouvre alors à de nouveaux modes de structuration imaginaires.
Voilà toute l’entreprise politique d’un cinéaste qui remet en jeu les fondements de
l’objectivité comme pour mieux nous inviter à repenser le monde.
« Nous vivons dans l’idée qu’il n’y a pas d’alternative, que si le monde tournait autrement,
tout s’effondrerait. Ce n’est pas vrai. Il y a un autre ordre, et il fonctionne aussi. Quand la
Terre était plate, elle fonctionnait aussi. »
Siegfried A. Fruhauf, Talk at The Austrian Film Museum, captation vidéo, 11 Janvier 2020.
Puisant dans cette histoire du cinéma qui réunit Man Ray et Marcel Duchamp, le travail de
Siegfried A. Fruhauf pose constamment de nouvelles lumières. Son approche libre et non
académique de l’héritage autrichien (Kren, Kubelka, etc.) indique qu’il s’agit moins pour lui
de “montrer autre chose“ que de trouver une “nouvelle manière de voir“ le familier. De ce
fait, comme en témoigne le montage archéologique de ses films, son œuvre est bien le lieu
d’une actualisation. On pense ici à sa manière d’empiler les traces, pour faire cohabiter le
disparu et le dissemblable au point « infiniment petit du présent ». C’est que le cinéma de
Fruhauf appréhende le temps et les phénomènes sous le prisme de la répétition ; et tout renaît
au rythme des boucles sonores hypnotiques de Anna Katharina Laggner et Jürgen Gruber.
FILMS
Dissolution Prologue - Extended Version (2020) 6'
Thorax (2019) 8'
Water and Clearing (2018) 5'
Phantom Ride Phantom (2017) 10'
Fuddy Duddy (2015) 5'
Vintage Print (2015) 13'
Still Dissolution (2013) 2'
Night Sweat (2008) 10'
BONUS
Camera Test (2021), 4'
Siemens Star (2018), 3'
Wood Land & Power Pole - Deconstruction (2001), 3'
Talk at the Austrian Film Museum (2020), 25'
+ un livret bilingue / + bilingual booklet
disponible le 20 septembre / available september 20
EN :
Siegfried A. Fruhauf sees cinema as a natural process in the broad sense. It is that nature as a
subject in his films always serves as a poetic investigation into the laws of the cosmos and the
universe. His aesthetic enterprise therefore consists in projecting us beyond perceptual habits,
to see the celestial bodies that hide in the lining of a landscape. To do this he uses the camera
like a scientific device, that is, as an instrument capable of taking what is invisible to the
human eye. The images that will appear next can no longer be deciphered by physics or
mathematics. What they show stems from the disaster of burning and dying stars.
In order to carry out this translation where the camera gives us a way to interpret the language
of the stars, the filmmaker pushes the limits of the camera as a tool. It is by accentuating the
decomposition of the film or the interference of the grain that he realizes sincere odes to
disorder. Thus, his images derive their power from the fact that they bring the device to the
fore, that they bring the life of the machine to the screen. New filmic manifestations arise
from representation "errors", proving that there is a cosmos in every image, however small.
In fact, among cosmic phenomena, it is perhaps "dissolution" which constitutes the central
leitmotif of the works of Siegfried A. Fruhauf.
In Night Sweat (2008) the dialogue between nature and the nature of the film continues to question the limits of the machine, but sublimates the interferences. The zooming assaults in the night eventually liquefy the image to suck us into a chaotic universe where our minds project black holes on the dance of pixels. By disorganizing the image in this way through a craft of intoxication, the filmmaker breaks
with the idea of classical representation. It dissolves matter and plunges us into a plastic mess
that only our inner world can rearrange. The real then opens up to new modes of structuring
imagination. This creates a political approach by filmmaker, who brings into play the
foundations of objectivity as if to better invite us to rethink the world.
“We live with the idea that there is no alternative, that if the world turned out otherwise
everything would fall apart. This is not true. There is another order, and it works too. When
the Earth was flat, it worked too.“
Siegfried A. Fruhauf, Talk at The Austrian Film Museum, video recording, January 11, 2020.
Drawing on this history of cinema which brings together Man Ray and Marcel Duchamp, the
work of Siegfried A. Fruhauf constantly sheds new light on the limits of moving image. His
free and non-academic approach to the Austrian heritage (Kren, Kubelka, etc.) indicates that it
is less for him to "show something else" than to find a "new way of seeing" the familiar. As a
result, as evidenced by the archaeological montage of his films, his work is indeed finds it’s
place in a process of updating our reality. We think here of his way of piling up traces of
images, to make the disappeared and the dissimilar coexist at the "infinitely small point of the
present". Furhauf's cinema apprehends time and phenomena through the prism of repetition;
and everything is reborn to the rhythm of the hypnotic sound loops of Anna Katharina
Laggner and Jürgen Gruber.