07/02/2017

Les chants d'amour de Suzan Pitt

Aparagus (1979), Joy Street (1995), El Doctor (2006), Visitation (2011) et Pin Ball (2013) : les cinq films d'animation réunis dans le DVD édité par Re:voir ont ceci en commun qu'ils ont toujours le pouvoir de troubler leur spectateur par l'étrange équilibre qu'ils sécrètent entre énergie féconde et langueur sensuelle. 
Asparagus, Suzan Pitt

Suzan Pitt commence à faire des films d'animation en 1968, elle est à ce moment déjà une dessinatrice accomplie, diplômée de l'Académie des Beaux-Arts de Cranbrook, Michigan. C'est l'intuition que les personnages de ses peintures sont porteurs d'un passé et d'un avenir qui la pousse à s'essayer à l'animation à l'aide d'une caméra super 8.
Dans Aparagus réalisé en 1976 une femme sans visage, qui évoque par cette absence la folie de Rhoda dans les Vagues de Virginia Woolf, fait défiler sous notre regard et le sien un mystérieux jardin fait de fleurs sauvages et d'asperges. Puis s'en va peupler un théâtre entier de ses fantasmes, qu'elle balade dans une petite malle. Sensualité partout, qui déborde le personnage et que le cadre contient difficilement. La matière filmique d'Asparagus est faite de la même matière que les rêves : une certaine liquidité des images qui se forment et se dissolvent au sein d'un même plan.
Joy Street 
Joy street, plus sombre évoque l'inertie de la dépression avec une justesse incisive. Moins de profondeur de champs, image plate et grise (ou du moins qu'on se souvient comme telle) où vient se figer le corps prostrée d'une femme. La couleur qui se manifestait avec éclat et dans toutes ses nuances dans Asparagus, est à conquérir dans Joy Street; c'est un film qui va vers la couleur. Vers le plaisir de regarder les choses s'animer, plaisir jusque dans la répétition : comme ce plan sublime d'un gorille qui hume une fleur de couleur vive avec un geste répété à l'identique plusieurs fois de suite.

El Doctor

El Doctor est un film plus complexe. Dans le documentaire qui accompagne le DVD, Persistence of vision réalisé par Blue et Laura Kraning, Suzan Pitt explique toutes les techniques d'animation utilisées pour créer la fantastique diversité visuelle du film. Ce mélange des techniques épouse parfaitement la mélancolie et l'humour de la narration. Le film convoque des images empruntées aussi bien à l'art naïf mexicain qu'à ce que Alfred Eaker appelle un "catholicisme érotisé".

Pinball

Visitation et Pinball marquent un retour vers des formes moins scénarisées, et une méthode de travail Do It Yourself proche de celle des premiers films de Suzan Pitt. Dans un entretien
avec Becca Keating publié sur Fandor, Suzan Pitt parle de cette transition: " Je voulais expérimenter certaines choses. Dans Visitation, les fantômes médiévaux et les figures issues d'une réalité sombre provenant de mes rêveries inspirées par H.P Lovecraft, dans Pinball une exploration abstraite de l'animation de mes peintures associée à la musique de George Antheil - et c'était redevenu une nouveauté de faire des formats courts. (...) J'ai toujours besoin d'avoir des projets où l'aspect aussi bien technique que conceptuel est nouveau et stimulant : c'est comme ça que je reste éveillée."



Visitation

Suzan Pitt "Animated Films" DVD TRAILER from Re:Voir Video on Vimeo.