Pour accompagner l'exposition, voici un texte écrit par François Delagnes pour expliquer son travail.
J’utilise la caméra comme un appareil photographique et la pellicule comme une palette où la lumière, les couleurs, les formes, l’espace, le temps dialoguent entre peinture et cinéma.
En août 2010, je commence durant un séjour à Collioure, lieu emblématique des peintres néo-impressionnistes, par photographier des paysages marins en zoomant au maximum sur la ligne d’horizon qui sépare la mer du ciel.
De retour à Paris, je réalise à l’aérographe une série de peintures hyper réalistes à partir des photos. Le résultat présente une image abstraite, un quasi-monochrome. Les repères de la ligne d’horizon disparaissent sur le format et deviennent presque invisibles.
Une articulation visuelle où hyperréalisme et abstraction se confondent, où l’horizon, la frontière entre le visible et l’invisible ne reproduit plus le visible, mais rend visible. Une image nouvelle laissant entrevoir du visible dans l’invisible que la peinture contient. Une tentative d’approche, voire de fusion entre le corps voyant et cette limite impalpable que présente l’horizon.
C’est ce qu’explique Mauro Carbone dans La chair des images : « L’être de la visibilité se caractérise en fait en tant qu’être d’horizon. » Il cite ce faisant un passage du dernier ouvrage de Maurice Merleau-Ponty, Du visible et de l’invisible : « Un nouveau type d’être, un être de porosité, de prégnance ou de généralité et celui devant qui s’ouvre l’horizon y est pris, englobé. »
L’horizon n’a pas de lieu propre, il n’a de présence que de l’endroit où je le perçois. C’est ce qui me pousse à chercher au-delà de cette ligne ce qui est absent pour lui donner une présence, aller vers ce que je ne vois pas, pour « voir plus que je ne vois ». C’est ce que Merleau-Ponty appelle la voyance : « Les choses et le monde visibles sont toujours derrière ce que j’en vois, en horizon, et ce qu’on appelle visibilité est cette transcendance même. Nulle chose, nul côté de la chose ne se montre qu’en cachant activement les autres, en les dénonçant dans l’acte de les masquer. »
C’est du moins ce que je comprends de l’attirance que j’éprouve pour ces paysages minimalistes et du rapport qu’ils entretiennent avec mes recherches sur la peinture : le ciel comme espace, la mer comme surface et l’horizon comme limite englobant par là même d’autres notions telles que la lumière, la couleur, la forme et le temps.
Tel est le point de départ de ce que je présente aujourd’hui chez Re:voir.
En 2014, face à la série des peintures, les quasi-monochromes de Collioure et considérant la succession des tableaux comme un ensemble, je décide de prolonger l’expérience. J’utilise alors la pellicule cinématographique comme une palette où la lumière, les couleurs, les formes, l’espace et le temps poursuivent un questionnement sur la perception du monde visible et du rapport que j’entretiens avec la peinture.
Sur les traces des impressionnistes et des néo-impressionnistes, en allant sur les lieux où ils ont peint, je saisis sur le film, dans un plan fixe, les variations de la lumière, les différenciations des formes et des couleurs, l’évolution de cet ensemble, du jour qui s’étend, de la nuit à la nuit.
Le déclenchement image par image de la caméra et la régulation du temps entre chaque prise de vue me permet d’insoler successivement des milliers d’images sur la pellicule super 8.
Mais un film n’est pas que la somme de ces images, c’est aussi une forme temporelle. Le sens d’une image dépend donc de celles qui la précèdent sur la pellicule mais aussi de la durée qui les sépare, de l’ellipse qui les assemble et leur succession crée une réalité nouvelle qui n’est pas la simple somme des éléments employés.
Le rouleau de film contenu dans une cassette super 8 mesure 15 mètres, je développe la pellicule puis la découpe en 50 bandes de 30 cm ; une fois ces morceaux de pellicule juxtaposés et fixés entre deux plaques de verre, j’obtiens des formats de 30 par 40 centimètres.
Sous cette forme l’ensemble du film, des photogrammes devient visible : un glissement où la pellicule et l’écran de projection ne font qu’un, où le film se montre instantanément dans sa globalité pour créer une réalité nouvelle, une autre image. Celle qui permet de « voir plus qu’on ne voit ».
Car la voyance consiste à voir plus qu’on ne voit, à nous faire voir l’invisible comme « le relief et la profondeur du visible ». Ainsi, elle « nous rend présent ce qui est absent », non pas en se bornant à présentifier celui-ci, mais en créant une présence particulière qui, en tant que telle, n’avait jamais été présente auparavant sur le lieu où les images ont été filmées.
C’est ce que Merleau-Ponty appelle aussi quasi présence, non pas comme une présence affaiblie, mais comme la prégnance de l’invisible dans le visible : la prégnance des ellipses qui séparent chacun des photogrammes constituant ces films écrans.
Ces derniers apparaissent donc comme un tissu de différenciations, où le visible est toujours entre-tissé de l’invisible, indirectement montré par le visible lui-même.
Les films-écrans ne relèvent plus du modèle du cadre ou de la fenêtre qui nous fait croire en son lieu : ils correspondent davantage à un modèle écran qui nous fait voir « selon ou avec » lui.
Un exemple tiré du Visible et de l’invisible explique clairement ce que Merleau-Ponty appelle « voir selon ou avec » : « Ce rouge n’est ce qu’il est qu’en se reliant dans sa place à d’autres rouges autour de lui avec lesquels il fait constellation, ou à d’autres couleurs qu’il domine ou qui le dominent, qu’il attire ou qui l’attirent, qu’il repousse ou qui le repoussent. »
Bref, c’est un certain noeud dans la trame du simultané et du successif. C’est une concrétion de la visibilité mise à plat, un dialogue entre peinture et cinéma."
Les films-écrans ne relèvent plus du modèle du cadre ou de la fenêtre qui nous fait croire en son lieu : ils correspondent davantage à un modèle écran qui nous fait voir « selon ou avec » lui.
Un exemple tiré du Visible et de l’invisible explique clairement ce que Merleau-Ponty appelle « voir selon ou avec » : « Ce rouge n’est ce qu’il est qu’en se reliant dans sa place à d’autres rouges autour de lui avec lesquels il fait constellation, ou à d’autres couleurs qu’il domine ou qui le dominent, qu’il attire ou qui l’attirent, qu’il repousse ou qui le repoussent. »
Bref, c’est un certain noeud dans la trame du simultané et du successif. C’est une concrétion de la visibilité mise à plat, un dialogue entre peinture et cinéma."