Ce qui fait l’importance du documentaire de François Miron sur le réalisateur de Razor Blades est peut être qu’il n’essaye pas d’expliquer ce qui pourrait s’entendre comme un mystère Sharits ou encore de figurer une légende, mais de nous le rendre proche : et c’est là une entreprise bien différente.
L’approche de Miron est une approche à la fois analytique et sensible, qui se laisse guider par l’oeuvre et la vie tourmentée du cinéaste tout en assurant une pertinente analyse -solidement documentée- de son travail ; la structure même du film imbrique avec subtilité une matière documentaire variée composée aussi bien d’extraits d’entretiens de Paul Sharits - qui donnent à entendre le rythme particulier et envoutant de son phrasé (l’émouvante interview avec l'artiste Steina Vasulka dans laquelle Sharits apparaît très affecté « I feel constantly kind of totally confused » dit-il le regard vague) - d’extraits de films parmi ses plus connus comme T,O,U,C,H,I,N,G mais également de vidéos de ses installations et de ses peintures, ainsi que des interviews toujours justes de proches ou d’autres cinéastes telles que les interventions joyeuses de son contemporain, le cinéaste et musicien Tony Conrad. Le portrait du cinéaste s'esquisse par touches successives, à travers des petites histoires souvent plus révélatrices qu'anecdotiques, sa fascination pour les couleurs se manifeste par exemple lorsque son amie Steina se remémore l'émerveillement de Sharits en découvrant son carnet de notes dans lequel l'encre colorée avait été dissolue par la rosée matinale, et de certaines photographies rares et troublantes du cinéaste.
Le film inscrit également des passages de la correspondance entre Paul Sharits et son mentor Stan Brakhage, qui ponctuent la progression du documentaire et révèlent le regard porté par Sharits sur l'évolution de son travail et de sa vision du cinéma au sens le plus large.
François Miron rend ici hommage à une oeuvre incroyablement singulière qui émerge au croisement du pop art et du minimalisme, et par laquelle l’expérimentation devient un acte intime et viscéral. Le caractère biographique de ses films, même les plus abstraits, y est affirmé, dans un entretien Sharits confie filmer du grain de pellicule comme une photographie de son fils. Et le biographique chez Sharits n'est jamais loin du poétique, ce que Miron nous permet de comprendre en nous donnant à entendre un sublime extrait radiophonique où Sharits reconnaît s'identifier de plus en plus à un lac de montagne.
On y apprend aussi énormément sur le processus créatif de Sharits par l’intermédiaire d’entretiens que Miron réalise avec ceux qui l’ont accompagné dans certains de ses projets, ainsi de l’extrait passionnant sur le procédé de réalisation de 3rd Degree qui détaille les multiples dégâts que Sharits a fait subir à la pellicule pour obtenir un résultat de film brûlé aussi saisissant.
Tony Conrad dans le film de François Miron |
PAUL SHARITS - a documentary film by François Miron from Re:Voir Video on Vimeo.