21/06/2022

Robert Kramer - Route One/USA

DVD Robert Kramer Work/vol.07


FRANÇAIS (English version below)

Le coffret vol. 07 de Robert Kramer sort le 15 juin prochain.

Robert Kramer (réalisation, image et montage), Route One/USA, long-métrage, 255 minutes, couleurs, Super 16mm gonflé en 35, France, prod. Les Films d’ici, La Sept (Paris), 1989 (Grand Prix au SCAM, Grand Prix au festival de Yamagata, 1991)

Sorti en 1989, Route One/USA, comme son nom l’indique, montre un road-trip que son réalisateur, Robert Kramer, a effectué avec une équipe réduite de techniciens et un seul acteur, Paul McIsaac. Film de retour (les deux amis reviennent dans leur pays d’origine) aussi bien que film de séparation (au cours du long-métrage, le réalisateur quitte un long moment son ami) et de retrouvailles (Kramer finit par revenir voir McIsaac) ; il s’agit avant tout d’une exploration de l’Amérique, le long du trajet que couvre la Route 1 étasunienne. 

Cependant, Kramer et Doc – personnage de militant en déclin créé pour Ice (1969), et réhabilité pour Doc’s Kingdom (1988) – reviennent aussi sur leurs propres traces : Doc lorsqu’il explique, dans une base d’entraînement militaire, sa propre formation ; Kramer lorsqu’il se rend dans une bibliothèque afin de consulter un conte pour enfant, The Little Red Lighthouse and the Great Gray Bridge (Hildegarde Swift, 1942) et lorsqu’il raconte sa relation avec son père. Dans plusieurs articles et entretiens, Kramer considère Doc comme son alter-ego ; ou est considéré comme tel. Mais ce qui se joue entre eux est aussi une relation fondée sur la dualité : le réalisateur n’a pas été engagé dans l’armée, il est quasi systématiquement derrière la caméra, et parle peu aux différentes personnes rencontrées ; à l’inverse de Doc. 

    Le vocabulaire iconographique employé est aussi bien celui de la route, de la mer, du voyage et de la culture. Comme à son habitude, le cinéaste joue sur les différentes échelles de plan ; et le film, à l’image de Milestones (1975) et Scenes from the Class Struggle in Portugal (1977), comporte un grand nombre de gros plans. Les images de chaînes rouillées et les éléments liés à la navigation et au monde marin apparaissent de multiples fois. Visages et objets sont aussi représentés, presque à égalité. Panneaux publicitaires ou de signalisation sont beaucoup filmés, comme si le voyage exacerbait la volonté de Kramer de se repérer dans l’espace. Parmi les autres éléments intéressants : des boules qui tournent dans une machine de bingo, un objet amérindien traditionnel, un micro, des lattes humides, un cochon, une tortue, le drapeau d’Haïti et même le sol sont filmés de très près. 

Robert Kramer, X-Country ; Being a Wedding Between Us and the Farabundo Marti Liberation Front in President Monroe’s Old House, long-métrage, 144 minutes, couleurs, vidéo, USA, prod. Robert Kramer, 1987

X-Country (1987) est certainement l’un des films de Robert Kramer les plus difficiles à appréhender. Moins connu que bien d’autres de ses réalisations, notamment parce que le contexte est là aussi très intime : le cinéaste nous montre un mariage et ses préparatifs. Kramer filme ainsi l’union d’une de ses amies proches, engagée politiquement et socialement, avec le chef du Front de libération Farabundo Marti, un regroupement de guérilleros salvadoriens ; dans l’ancienne maison du président américain James Monroe (1817-1825). 

Comme il l’a dit lui-même, Kramer tourne le film (en vidéo) comme un cadeau à offrir aux mariés. L’acteur Paul McIsaac, avec lequel il a plusieurs fois collaboré, prend le son. A plusieurs reprises, le réalisateur filme sa femme, Erika ; les mariés et un grand nombre d’invités ; mais aussi l’environnement qui les entourent.

C’est après tout sa manière de prédilection de tourner qui est ici à l’œuvre : zooms, gros plans, jeu sur les échelles de plans et volonté inaltérable de montrer l’autour ; ce qui se passe en dehors de l’action principale. En effet, les images du mariage en tant qu’événement ne sont pas celles qui sont les plus présentes : Kramer s’attarde sur des fragments de conversation, sur une fontaine du jardin ou encore sur des détails historiques liés à la maison où se déroule le mariage. 

 

Robert Kramer, Dear Doc, court-métrage, 35 minutes 30 secondes, couleurs, vidéo, France, prod. Les Films d’ici, La Sept, 1990

Court-métrage produit par Les Films d’ici (société de Richard Copans) et La Sept, Dear Doc (1990) sort un an après Route One/USA, et peut d’ailleurs aisément être défini comme un épilogue au film, voire aux trois films dans lesquels le personnage de Doc (Paul McIsaac) apparaît ; mais aussi comme un prologue à un de ses prochains films.


    Sous la forme d’une vidéolettre – les Videolettres échangées par Kramer avec Stephen Dwoskin sont réalisées un an plus tard – adressée à son ami l’acteur Paul McIsaac, le réalisateur exécute un film intime, composé de plans de Route One/USA (1989) et d’autres plans inédits, tournés pour le même film mais non utilisés lors du montage. Kramer montre aussi au spectateur les coulisses du tournage de son film-fleuve, notamment en filmant le processus de réalisation de sa musique, composée par Barre Philips et ses collègues en postproduction, et de manière spontanée : ils jouent en même temps qu’ils voient le film, en studio. 


La voix off du cinéaste est très présente tout au long du film, qui peut se voir en définitive comme une lettre d’adieu à Doc, personnage de militant de la Nouvelle Gauche américaine devenu médecin malade et alcoolique après un séjour en Afrique, et qui a voyagé de l’Amérique à l’Europe avant de revenir dans son pays natal. Bien que Kramer n’excluait pas l’idée, dans les dernières années de sa vie, de travailler à nouveau avec Paul McIsaac pour un de ses films, il ne le fera pas ; il s’agit donc aussi du dernier témoignage de leur relation au cinéma, après pas moins de quatre films : Ice (1969), X-Country; Being a Wedding Between Us and the Farabundo Marti Liberation Front in President Monroe’s Old House (1987 ; pour lequel il prend le son) Doc’s Kingdom (1988) et Route One/USA (1989). 

Bande annonce de Route One/USA


-article par Baptiste Brune

DVD/BLU-RAY DISPONIBLE ICI/AVAILABLE HERE : https://re-voir.com/shop/en/robert-kramer/1427-route-oneusa-robert-kramer.html

ENGLISH

Robert Kramer (director, cinematographer and editor), Route One/USA, feature film, 255 minutes, color, Super 16mm blown up to 35, France, produced by Les Films d’Ici, La Sept (Paris), 1989 (Grand Prize at SCAM, Grand Prize at the Yamagata Festival, 1991)

     Released in 1989, Route One/USA, as its name suggests, shows a road trip that its director, Robert Kramer, carried out with a reduced team of technicians and a single actor, Paul McIsaac. A film of returning (the two friends return to their home country) as well as a film of separation (during the film, the director leaves his friend for a long period of time) and of reunion (Kramer returns to see McIsaac); above all it is an exploration of the United States as seen from US Route 1. US Route.

Within the film, Kramer and Doc – a character created for Kramer’s 1969 film Ice (1969), and rehabilitated for Doc’s Kingdom (1988) who is a declining militant – return to walk in their own footsteps: Doc, when he explains at a military training base, aspects of his own military training; Kramer when he goes to a library to read a children’s story, The Little Red Lighthouse and the Great Gray Bridge (Hildegarde Swift, 1942) and when he recounts his relationship with his father. In several articles and interviews, Kramer considers Doc his alter ego, but what is evident between them is also a relationship based on duality: the director was not enlisted in the army, he is almost systematically behind the camera, and speaks little to the people he meets; unlike Doc.

The iconographic vocabulary used is that of the road, the sea, travel and culture. As usual, Kramer plays on the different shot scales; and the film, like Milestones (1975) and Scenes From The Class Struggle In Portugal (1977), features a large number of close-ups. Images of rusty chains and navigational tools and the marine world appear multiple times. Faces and objects are also represented, almost equally. Advertising and road signs are filmed often, as if the journey exacerbated Kramer’s desire to find his bearings in the constantly moving landscape. Among the other interesting elements: balls spinning in a bingo machine, a traditional Native American object, a microphone, wet slats, a pig, a turtle, the flag of Haiti, and even the ground are filmed very closely.

Robert Kramer, X Country; Being A Wedding Between Us And The Farabundo Marti Liberation Front In President Monroe’s Old House, feature film, 144 minutes, color, video, USA, prod. Robert Kramer, 1987 

      X-Country (1987) is certainly one of Robert Kramer’s most difficult films to grasp. Lesser known than his other productions, in particular because the context is also very intimate, the filmmaker shows us a wedding and its preparations. Kramer films the union of one of his closest friends, who is politically and socially engaged with the leader of the Farabundo Marti Liberation Front, a group of Salvadoran guerrillas; in the home of former US President James Monroe (1817-1825).

As he notes himself, Kramer shoots the film (on video) as a gift for the bride and groom. Actor Paul McIsaac, with whom Kramer had collaborated several times, takes on the sound production. On several occasions, the director films his wife, Erika; the bride and groom and a large number of guests; but also the surrounding environment. Kramer’s preferred way of filming is present: zooms, close-ups, playing with the scale of shots and the unalterable desire to show the surroundings; the often overlooked other world of what happens outside of the main action. The images of the wedding itself are not what is most present: Kramer dwells on fragments of conversation, on a fountain in the garden, or even on historical details of the venue. 

Robert Kramer, Dear Doc, short film, 35 minutes 30 seconds, colors, video, France, prod. Local Films, La Sept, 1990

      A short film produced by Les Films d’Ici (Richard Copans’ company) and La Sept, Dear Doc (1990) was released a year after Route One/USA, and can easily be defined as an epilogue to that film, or even to the three films in which the character of Doc (Paul McIsaac) appears; it also functions as a prologue to one of Kramer’s next films.

In the form of a videoletter – The Videoletters exchanged between Kramer and Stephen Dwoskin were made a year later – addressed to his friend the actor Paul McIsaac, the director makes an intimate film made up of unseen and unused shots from Route One/USA (1989). 

Kramer also shows the viewer behind the scenes of filming: in particular, he shows the production process of its music, composed by Barre Philips and his colleagues in post-production. The filmmaker’s voice-over is very present throughout the film, which can ultimately be seen as a farewell letter to Doc, his alter ego. Doc, an American New Left militant character who becomes a sick and alcoholic doctor after a stay in Africa, traveled from America to Europe before returning to his native country. 

Although Kramer did not rule out the idea in the last years of his life of working again with Paul McIsaac, he did not; it is therefore also the final testimony to their relationship with) cinema, after working on no less than four films together : Ice (1969), X-Country; Being a Wedding Between Us and the Farabundo Marti Liberation Front in President Monroe’s Old House (1987; for which McIsaac worked on the sound) Doc’s Kingdom (1988) and Route One/USA (1989).

-article by Baptiste Brune