Les Hautes Solitudes (1974)
80 mins, black
& white, silent/muet
with/avec: Jean Seberg & Nico, Tina Aumont, Laurent Terzieff
Gerard Courant's entretien
Philippe Garrel à Digne (premier voyage, 1975) – video 8’27"
Excerpts selected, translated and edited by Laura Staab at Re:Voir Video (december 2013)
Intertitre
: UN ANGE PASSE ET LES HAUTES
SOLITUDES
P.G. :
...je me suis mis à la caméra, mais je ne sais pas le faire, alors c’est assez
désastreux techniquement, mais, en même temps, j’aime mieux ça parce que ça
me laisse plus de liberté et
je suis avec des gens par affinité élective comme quand on choisit des gens
pour tourner avec. Je ne suis plus avec eux, simplement pour des raisons de
pratique. Et puis, en même temps, maintenant, je m’aperçois que, tenir
la caméra moi-même c’est quelque part comme avoir un bras en fer. C’est une
aussi une prothèse. Ça tient de l’horreur. C’est ce que Welles explique.
Alors, je ne connais pas la solution. Peut-être que l’on va aller un jour vers
une caméra téléguidée qui travaillerait toute seule. Ça serait déjà mieux dans la mesure où ce sont
effectivement des machines.
Intertitle: UN ANGE PASSE AND LES HAUTES SOLITUDES
P.G.: …I took control of the camera, but I didn’t know
how to operate it, so it was quite disastrous technically, but, at the same time, I
liked it better because it allowed me more freedom. [...] Now, I see that to take
control of the camera myself is something like having an iron arm. It is like
an artificial limb. There is some horror in that. That is what Welles explains.
I have not known a solution to it. Maybe one day we will use a radio-controlled
camera that works alone. [...]
***
Intertitre
: JEAN SEBERG
P.G. : Le travail avec Seberg, c’était
plutôt par rapport à Godard. Quand je l’ai rencontrée, comme on a
parlé de Godard tout de suite. J’ai trouvé intéressant de faire un travail qui
échappe à À bout de souffle dans la
mesure où c’était quand même très présent sur le tournage.
Et puis,
elle est passionnée par l’Actor Studio [la méthode Stanislavski]. Elle me
forçait à faire des scènes de l’Actor Studio. Elle me disait : « Demain, je
veux bien te faire un plan, mais je t’échange mon plan à condition que tu me
joues quelque chose ». Alors, il fallait que je joue un voleur. Je rentrais dans la pièce.
Il fallait que je pique mille francs dans son sac et que je sorte en courant.
On essayait de faire ça et puis après, j’avais vraiment peur, elle me
poursuivait dans l’escalier... Effectivement, je suis rentré assez facilement
dans des psychoses. Elle me disait que c’était comme ça qu’ils travaillaient
à l’Actor Studio et qu’il fallait travailler de cette manière. Et alors, on a
essayé de faire le film comme ça, de faire quelque chose qui tienne du
psychodrame et qui serve à délivrer réellement quelque chose.
Comme elle
est une star, à un niveau précis, j’étais quand même en observation par
rapport à son travail. Peut-être que ce travail lui a été réellement utile
parce qu’elle m’a écrit une lettre qui semblait trouver que l’on avait fait un
travail positif et important. Ceci dit, elle pense que le film est complètement
incompréhensif pour n’importe qui.
Intertitle: JEAN
SEBERG
P.G.: When I met her, we talked about Godard straight
away. I found it interesting to create a piece that escaped À bout de soufflé insofar as it was
still very present in the filming.
And, she was passionate about the Actor Studio [method
acting]. She forced me to do scenes from the Actor Studio. She said to me,
‘Tomorrow, I will give you a plan, but I will only give you my plan if you act
me something.’ So, I had to play a thief. I had to steal a thousand francs from
her bag and then leave – running. We tried to do that and then after, I was
truly scared, she followed me down the stairs… Effectively, I had returned to
psychoses – and quite easily. She said to me that it was like that when they
worked at the Actor Studio and that it was necessary to work in that way. And
so, we tried to make the film like that, to make something that uses
psychodrama, and that serves to really liberate something.
As she is a star, at a very specific level, even I was
under observation, with regards to her work. The work had perhaps been very
useful to her, because she wrote me a letter; it seemed to say that we had
created a positive and important piece of work. That said, she thought the film
that was completely incomprehensible.
Intertitre
: SI TU AVAIS EU LES MOYENS DE FAIRE UNE
BANDE SON POUR LES HAUTES SOLITUDES,
L’AURAIS-TU FAIT ?
Un
spectateur : Si tu avais eu les moyens de faire une bande son pour Les Hautes solitudes, est-ce que tu
l’aurais fait ?
P.G. : Oui,
sans doute.
Un
spectateur : Et maintenant, cela ne te dirais-tu pas de la faire ?
P.G. : Non,
je ne reviens jamais en arrière. Je sais que ce n’est pas bien. De toute façon,
il est bien évident que si j’avais une table de montage, je démolirais
complètement le film. Parce
que quand on vient de finir un film, on n’a pas de regard, on associe trop les
scènes de tournage aux scènes impressionnées sur la pellicule. Alors,
maintenant, deux ans après, si j’allais au montage, il n’en resterait que vingt
minutes. Mais ce n’est pas très intéressant. Godard disait qu’il valait mieux
faire un mauvais long métrage qu’un bon court métrage. Je crois qu’il avait
raison parce qu’un court métrage est voué à n’être jamais vu.
Intertitle: IF YOU
HAD HAD THE MEANS TO MAKE A SOUNDTRACK FOR LES HAUTES SOLITUDES, WOULD YOU HAVE MADE ONE?
A spectator: If you had had the means to make a
soundtrack for Les Hautes solitudes,
would you have made one?
P.G.: Yes, without a doubt.
A spectator: And now, you wouldn’t make it?
P.G.: No, I never look back. I know that it is not good.
Anyhow, it is very clear to me that if I had an editing table, I would
completely destroy the film. [...] So, no, two years after, if I went back to
editing, it would only be twenty minutes. And that is not very interesting.
Godard said that he valued making a bad feature-length film over a good short
film. I think that he had a point, because a short film is destined never to be
seen.
Intertitre
: JEAN SEBERG N’OUBLIE JAMAIS LA CAMÉRA
AU CONTRAIRE DES FILMS DE WARHOL OÙ LES ACTEURS L’OUBLIENT COMPLÈTEMENT
Un
spectateur : Est-ce que ce n’est pas gênant pour vous que Jean Seberg n’oublie
jamais la caméra ? Tout à l’heure, vous vous êtes référé un peu à Warhol.
Mais les acteurs, chez Warhol, oublient la caméra alors que Seberg est vraiment
en relation directe avec la caméra.
P.G. : Oui,
mais elle crée une espèce de communication. Comme j’étais derrière l’objectif,
elle entraînait une certaine communication directe avec la caméra.
Un
spectateur : Ce n’est pas avec vous qu’elle entrait en communication ? On
dirait qu’elle joue un rôle.
P.G. : Oui,
c’est vrai. C’est aussi dans
le vide, je crois. Non, mais en même temps, elle est en psychanalyse et, quelque part,
elle est quand même très, très à vif, c’est-à-dire que ça lui est utile. De
toute façon, tourner, c’est un rituel.
Un
spectateur : Oui, mais par rapport aux autres films, les personnages vivent,
comme Terzieff ou votre père alors que, là, je n’ai jamais l’impression que
Jean Seberg vive et on s’ennuie toujours. Elle nous ennuie tout le long. C’est
très pénible. Elle ne nous intéresse pas du tout. On sent tout le temps qu’elle
est en relation avec cette caméra et qu’elle ne l’oubliera jamais. Alors,
est-ce que ça vient de l’Actor Studio, est-ce que c’est un défaut du
réalisateur ? Mais enfin,
ça ne passe pas du tout, à aucun moment.
Un autre
spectateur : Je ne suis pas du tout d’accord parce que, par exemple, je trouve
une très grande similitude entre l’attitude de Seberg dans Les Hautes solitudes et l’attitude de ton père et de Terzieff dans Un ange passe qui, en fait, n’ont de relation qu’en fonction de la
caméra, qui n’arrêtent pas de jeter des regards à la caméra. La caméra est là.
Leur relation serait différente si la caméra n’était pas là. C’est à partir
de là que c’est intéressant aussi. C’est ce qui m’intéresse finalement.
P.G. : De
toute façon, ce sont deux classes d’acteurs complètement différents. Ce sont
deux directions de jeu complètement différentes. Par exemple, il y a des moments où Seberg joue la mère,
où ça me paraissait œdipéennement juste.
De toute façon, si j’ai tourné ces films avec
des acteurs c’est que, comme je faisais le travail de la caméra et que je devais
travailler vite, je ne pouvais pas filmer mes amis. Il y a beaucoup de gens que j’ai envie de faire tourner ou de filmer tout
simplement sans les déranger, mais il s’avère que c’est beaucoup plus
difficile de travailler avec des gens qui ne sont pas tout le temps devant une
caméra.
Ils n’ont
pas le souffle nécessaire pour faire un long métrage, car c’est finalement un long métrage. Il faut porter
son jeu très, très loin dans la durée. Alors, généralement, les acteurs
qui ne sont pas professionnels s’essoufflent très vite et leurs attitudes se
montent en boucle. Et puis on est obligé de refaire des prises, je le vois
parce que j’ai déjà fait des films avec des gens qui étaient simplement des
amis. C’est beaucoup plus compliqué de travailler avec eux. Il faut refaire
plusieurs prises, il faut les rassurer tout le temps. Ils ont tout le temps des
problèmes de contenance, d’inhibition. Il fallait que ce soit très efficace comme cinéma pour pouvoir aboutir
simplement à un long métrage parce que je n’avais jamais fait des films aussi
peu chers et dans ces conditions techniques-là. Il fallait donc que je sois
sûr d’arriver à faire un long-métrage et que je ne tombe pas en cours de
route.
Intertitle: JEAN
SEBERG NEVER FORGETS THE CAMERA, AS OPPOSED TO WARHOL’S FILMS, WHERE THE ACTORS
COMPLETELY FORGET IT
A spectator: Is it not bothersome for you that Jean
Seberg never forgets the camera? Earlier, you referred a little to Warhol. But
Warhol’s actors forget the camera, whereas Seberg is truly aware of the camera.
P.G.: Yes, but she creates a type of communication. As I
was behind the lens, she exercised a sort of direct communication with the
camera.
A spectator: It wasn’t with you that she exercised
communication? You said that she plays a role.
P.G.: Yes, that is true. But at the same time, she is a
psychoanalyst. Anyhow, filming, it is a ritual.
A spectator: Yes, but compared to other films, the
characters ‘live’, as Terzieff and your father while, with this, I never had
the impression that Jean Seberg ‘lived’ and it always annoyed me. She annoyed
us all the way through. It is very tiresome. She does not interest us at all.
One always feels that she is there with this camera and that she will never
forget it. So, is that because of the Actor Studio, or is that a fault of the
director?
Another spectator: I do not agree at all because, for
example, I find a very great similarity between the attitude of Seberg in Les Hautes solitudes and the attitude of
your father and of Terzieff in Un ange
passé.
P.G.: These are two completely different classes of
actors. These are two completely different ways of acting.
There are many people that I want to film or to simply
shoot without disturbing them, but it turns out that it is very difficult to
work with people who are not in front of the camera all the time.
They do not have the necessary stamina to do a
feature-length. Generally, the actors who are not professional get out of
breath very quickly, and their attitudes were simply of friends. It is much
more complicated to work with them. You have to do many takes; you have to
reassure them all the time. They always have problems of composure, of
inhibition.
Attention
poésie (1982) – video 17’40”
G.C. :
Comment Jean Seberg a-t-elle accepté de faire un film entièrement muet ?
P.G. : Pour
Jean et pour Maria [Schneider], ce sont des choses qui se sont déclenchées en
une semaine. Une semaine après les avoir rencontrés, je me trouvais avec une
caméra dans les mains en train de tourner. Comme il n'y avait qu'un cahier
écrit et donc une grande part d'improvisation, c'était un échange de
propositions de manière à gravir les différents versants d'une histoire.
G.C.: How did Jean Seberg come to agree to making an
entirely silent film?
P.G.: For Jean and for Maria [Schneider], these are
things that go off in a week. One week after meeting them, I found myself with
a camera in my hands, in the process of filming. As there was only a notebook
written for it – and so, a lot of improvisation – it was an exchange of ideas,
of the different ways to approach the story.
G.C. :
Comment cela s'ordonnait-il ?
P.G. :
C'était selon une règle harmonique. Je montais les plans bout à bout. Je
montais selon les ordonnances de lumières. C'était quand même très appliqué.
On n'avait
pas beaucoup de moyens. Seulement de la pellicule périmée, une caméra sans
magnétophone. Il fallait quand même essayer de « sortir » une histoire. La
question était résolue par le fait qu'il ne fallait pas essayer de faire un
chef d'œuvre, mais que ce
travail soit visible et utile aux protagonistes du film.
G.C.: How did that fall into place?
P.G.: It was to do with harmony. I organised the plans
bit by bit. I organised according to the layout of lights. It was still very
careful.
We did not have very many resources. Only the expired
film, a camera without recorder. It was still necessary to try to ‘coax out’ a
story. The issue was resolved by the fact that it was not necessary to try to
make a masterpiece.
G.C. :
Comment cela se passait-il avec Jean Seberg sur le tournage ? Qu'est-ce qu'elle
te disait ?
P.G. : Lorsque je venais le matin ou au
début de l'après-midi, il lui arrivait quelques fois d'avoir passé seule la
soirée précédente à chercher deux ou trois prétextes de jeu.
Quand j'avais le temps, quand je n'avais pas été
trop préoccupé par le fait de produire le film au jour le jour, quand j'avais
trouvé de quoi acheter de la pellicule, le lendemain matin, je faisais la même
chose qu'elle. Je faisais mes propositions et, à ce moment-là, Jean montrait
toute sa compréhension pour ma génération. On tournait assez peu dans la journée car on parlait d'autre chose. C'est peut-être pour ça que ces
films furent utiles à cette époque. Je ne passais pas dix ans à régler un
projecteur. Pour ces raisons, j'aime assez bien ces films encore aujourd'hui.
On se mettait face-à-face dans un fauteuil et un sofa à parler des autres
choses qu'on avait faites dans la semaine, de ce qui nous avait intéressé
dans les « sorties » au théâtre, de ce qu'on était allé voir au cinéma ou de ce
qu'on avait lu. C'était très
réaliste-onirique. C'était fabriqué quelques minutes avant le plan. On
tournait une heure ou deux par jour.
G.C.: How did the filming with Jean Seberg go? What did
she say to you?
[...] We filmed quite little in the day because we spoke of
other things. We sat face to face in an armchair and a sofa and spoke of other
things that we had done in the week: of the theatre releases that had
interested us, of what we had been to see at the cinema and of what we had
read. [...] We filmed an hour or two each day.
G.C. :
Est-ce que Jean Seberg avait vu le film ?
P.G. : Oui,
elle l'a vu. Elle a dit : « C'est très bien ». C'était une espèce d'ébauche.
J'ai décidé
de le laisser tel quel.
G.C.: Has Jean Seberg seen the film?
P.G.: Yes, she has seen it. She said, ‘It is very good.’
It was a sort of sketch; I decided to leave it as it was.
G.C. :
Acceptait-elle le principe d'un film muet ?
P.G. :
Quand je lui ai demandé si on pouvait le laisser ainsi avec des images blanches
et sans son, elle m'a répondu : « Je suis contente si tu le laisses ainsi ». [...]
Jean était
une personne d'une rare beauté et d'une rare intelligence. [...]
Je me suis
volontairement arrêté à un stade préliminaire par rapport à mes autres
tournages.
G.C.: She accepted the principle of a silent film?
P.G.: When I asked her if we could leave it as that, with
the whitewashed images and without sound, she replied to me, ‘I am happy if you
leave it like that.’ [...]
Jean was a person of a rare beauty and of a rare
intelligence.
The film made me think of The Chelsea Girls and of À
bout de souffle.
In comparison to my other films, I voluntarily stopped at
a preliminary stage.
***
G.C. : En
général, préfères-tu tes films sonores ou tes films muets ?
P.G. : Ça
dépend. J'aime bien Les Hautes solitudes,
c'est un film muet, Athanor, il est
muet et Marie pour mémoire, il est
sonore. Un film muet, ça file un autre trac. Ça dépend du public. [...]
G.C.: In general, do you prefer films with dialogue or
silent films?
P.G.: It depends. I like Les Hautes solitudes a lot – that is a silent film, Athanor – that is silent, and Marie pour mémoire – that is a film with
dialogue. [...] It depends on the public. [...]